Tribunal judiciaire de Lyon : Une décision clé pour les victimes d’escroqueries en cryptomonnaie et le renforcement des obligations LCB-FT

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Le 17 mars 2025, une décision rendue par le Tribunal judiciaire de Lyon a ouvert une voie importante pour les victimes d’escroqueries en cryptomonnaie, tout en soulignant la nécessité de renforcer l’application des exigences liées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) dans un domaine aussi complexe et dynamique que celui des actifs numériques.

Un contexte juridique et réglementaire en évolution :

Les escroqueries liées aux cryptomonnaies ont connu une forte augmentation ces dernières années. En 2023, les pertes liées à ces fraudes ont atteint 5,6 milliards de dollars selon un rapport du Centre de plainte contre la cybercriminalité du FBI (Federal Bureau of Investigation), avec une majorité due à des investissements frauduleux. En France, un procès pour une escroquerie de 28 millions d’euros a été ouvert en octobre 2024, touchant plus de 1 300 victimes, selon Le Monde. 

Dans ce contexte, la décision du 17 mars du tribunal de Lyon marque une avancée significative en matière de protection des victimes d’escroqueries en cryptomonnaies, en ordonnant la levée du KYC pour identifier le titulaire du compte suspect et engager des actions concrètes pour retrouver les fonds volés. Cette décision s’avère essentielle dans le contexte des fraudes croissantes, en offrant un cadre juridique permettant de surmonter les obstacles liés au pseudonymat des transactions, et représente un progrès majeur dans l’efficacité des mécanismes de recouvrement pour les victimes.

En effet, dans un environnement où le pseudonymat et la décentralisation des transactions sont des caractéristiques majeures, le cadre réglementaire applicable aux plateformes de cryptomonnaies reste un défi. En France, les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN)  sont soumis à des obligations strictes en matière de LCB-FT. Ces derniers doivent  non seulement se conformer aux procédures de connaissance du client (KYC), mais aussi signaler toute transaction suspecte à TRACFIN, l’organisme chargé de la lutte contre les circuits financiers clandestins.

Une décision majeure : une levée du KYC pour une meilleure protection des victimes : 

La décision du Tribunal judiciaire de Lyon du 17 mars 2025, marque un tournant en matière de conformité LCB-FT pour les plateformes de cryptomonnaie. Le tribunal a ordonné à un PSAN de lever le KYC d’un compte ayant été utilisé pour réaliser une escroquerie. La levée du KYC désigne l’obligation, pour un établissement régulé, de transmettre les données KYC , qui incluent des informations d’identification telles que le nom, l’adresse et la pièce d’identité, aux autorités compétentes dans le but d’obtenir l’identité réelle d’un titulaire de compte. Cela permet d’engager les démarches nécessaires pour retrouver les fonds volés, tout en suspendant temporairement l’accès au compte frauduleux. Dans le cadre d’une escroquerie, cela autorise donc la collecte d’informations normalement protégées, permettant ainsi de tracer les fonds et d’engager des actions légales pour leur restitution. Cette levée est généralement encadrée par des décisions judiciaires ou des ordonnances spécifiques.

Il convient de noter que cette décision est rendue possible grâce à l’intervention d’experts spécialisés dans l’investigation on chain. Ces spécialistes ont joué un rôle crucial dans l’identification des flux financiers suspects permettant d’assurer le suivi des transactions à travers la blockchain. En d’autres termes, une investigation « on-chain » dans le cadre du recouvrement des cryptomonnaies, après la levée du KYC, consiste à analyser directement la blockchain pour suivre les transactions et identifier les mouvements des fonds volés. Puisque les cryptomonnaies sont enregistrées de manière permanente sur la blockchain, il est possible de retracer les transferts entre adresses cryptographiques, même si l’identité des parties reste cachée. Cette analyse peut être effectuée au moyen d’un outil d’analyse transactionnelle (OAT) utilisé par les PSAN et les autorités pour tracer les flux en crypto, de collecter de la data on-chain pour ensuite la combiner avec de la data off-chain de manière à en générer des informations fiables permettant de mener les investigations et prendre une décision. Ainsi, une telle analyse permet de suivre l’évolution des fonds, d’identifier les portefeuilles impliqués, et de tenter de localiser les actifs dans le but de faciliter leur saisie ou leur restitution. 

Les enjeux de la conformité LCB-FT pour les acteurs des cryptomonnaies : 

Comme évoqué précédemment, l’une des grandes difficultés auxquelles sont confrontées les plateformes est la nature décentralisée et souvent transnationale des transactions en cryptomonnaie. En raison de l’absence de régulations uniformes à l’échelle mondiale, les acteurs du secteur sont parfois confrontés à des défis juridiques complexes, notamment lorsqu’il s’agit de suivre des transactions à travers plusieurs juridictions. 

Le cas de la décision du Tribunal judiciaire de Lyon illustre précisément cette nécessité de renforcer la surveillance des transactions. Il met en évidence la nécessité d’un KYC minutieux, permettant de traquer efficacement les fonds pour protéger les victimes d’escroqueries, tout en soulignant l’importance de la coopération entre les différents acteurs (plateformes, autorités judiciaires, sociétés spécialisées en investigations on chain).

Cette décision est directement en lien avec le règlement MiCA  (Markets in Crypto-Assets), le règlement TFR (Transfer of Funds Regulation) et le futur Règlement LCB-FT (AMLR) issu de l’AML Package qui visent à renforcer la transparence et la traçabilité des transactions en crypto-actifs

  • MiCA, qui encadre les marchés des crypto-actifs au sein de l’Union européenne, impose des obligations aux prestataires de services pour garantir la sécurité, la protection des investisseurs et la prévention des risques financiers ; 
  • Le TFR, quant à lui, oblige les acteurs du secteur à transmettre des informations détaillées sur chaque transfert de crypto-actifs ; 
  • Le futur Règlement LCB-FT imposera à tous les prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA) – le futur agrément issu de MiCA qui remplacera les statuts nationaux existants à l’instar du statut PSAN en France – de se conformer aux obligations de LCB-FT.

 

Ces textes ont pour objectif commun de rendre les transactions en crypto-actifs plus transparentes, de faciliter leur surveillance et de garantir qu’elles ne soient pas utilisées à des fins criminelles. 

La levée du KYC dans le cadre de la décision susvisée s’inscrit dans cet objectif en permettant aux autorités d’identifier plus facilement les titulaires des comptes et de recouvrer les fonds volés, complétant ainsi les mécanismes de contrôle préventif introduits par MiCA et TFR.

Conclusion : vers une régulation renforcée et une conformité renouvelée

Cette décision du Tribunal judiciaire de Lyon constitue un jalon important dans l’application des règles de conformité LCB-FT aux exchanges. 

Dans cette affaire, c’est grâce à un KYC rigoureusement appliqué par le PSAN que l’identité des parties impliquées a pu être établie. Le partage des informations collectées a ensuite permis de retracer les transactions et d’identifier les fonds détournés, rendant ainsi leur restitution possible pour la victime

Cette décision inaugure  le renforcement progressif de la régulation et de la conformité dans le secteur des cryptomonnaies. Il est important que les acteurs du marché continuent de respecter leurs obligations de vigilance et déclarative, en particulier en matière de KYC, de surveillance des transactions et de déclaration des opérations suspectes. En adoptant des pratiques rigoureuses, ils contribueraient à limiter les risques de fraude, de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, tout en offrant une meilleure protection aux investisseurs contre les escroqueries.

Ainsi, tout acteur de la cryptomonnaie doit s’engager activement à se conformer aux exigences LCB-FT, tout en mettant en place des mécanismes de vigilance et de transparence renforcés pour assurer la sécurité et la confiance des utilisateurs. La coopération avec les autorités compétentes, les sociétés spécialisées dans l’investigation et l’utilisation d’outils technologiques adaptés seront des éléments clés pour réussir à répondre aux défis de ce secteur en constante évolution.

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