Le 30 mai dernier, le Conseil de l’Union européenne a adopté le nouveau paquet bancaire comprenant de nouvelles règles destinées à fortifier la résilience des banques face aux chocs économiques ainsi que la surveillance et la durabilité dans le secteur bancaire.
Il s’agit d’une mise à jour des normes de Bâle III par transposition avec la directive CRD6 (Capital Requirements Directive) et la mise en place du règlement CRR3 (Capital requirements Regulation) approuvés le 6 décembre 2023. En réponse aux nouveaux défis économiques et financiers, l’Union européenne s’efforce ainsi de mettre en place des mesures efficaces pour préserver le secteur et sa stabilité.
Le paquet bancaire prévoit notamment de nouvelles normes concernant les exigences de fonds propres avec l’introduction d’un plancher de fonds propres. L’objectif est de garantir des coussins suffisants afin d’absorber les pertes des institutions financières, tout en limitant l’effet de levier notamment. À ce titre, des coussins de capital supplémentaires sont prévus pour les banques d’importance systémique mondiale (G-SIB) et domestique (D-SIB).
Il est à noter qu’entre fin 2009 et juin 2023, le ratio des fonds propres de meilleure qualité (Common Equity Tier 1 ou CET1) des banques européennes a presque doublé, passant de 8,5 % à 16.0 %.
Ainsi, les exigences de liquidité et de financement stable sont renforcées pour mieux préparer les banques à gérer de potentielles crises de liquidité et à assurer une stabilité à long terme.
Dans sa revue de mars 2024, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (Autorité de supervision française) estime à ce titre que le nouveau paquet bancaire assure un point d’équilibre satisfaisant tout en tenant compte des spécificités européennes avec une transposition fidèle des accords de Bâle III.
1. Le risque de crédit
S’agissant du risque de crédit, le CRR3 révise le cadre prudentiel y afférent. Pour rappel, le risque de crédit se définit, selon l’arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne, comme le risque «encouru en cas de défaillance d’une contrepartie ou de contreparties considérées comme un même groupe de clients liés». Il doit être intégré dans la cartographie des risques des assujettis (établissements de crédits, sociétés de financement et établissements de paiement fournissant le service 4 dit «crédit accessoire»).
À ce jour, les assujettis peuvent calculer le risque de crédit selon une approche interne (Internal Risk Based, IRB) ou selon une approche standard (plus courante). Dans ce dernier cas, il s’agit d’utiliser des systèmes de notation fournis par des organismes externes (agences de notation). L’exigence de fonds propres est alors calculée grâce à une formule spécifique comportant l’exposition brute (actif ou élément de hors bilan après application de facteur de conversion en bilan et après prise en compte des ajustements de crédit spécifique) et un coefficient de pondération réglementaire (variable selon le rating de la contrepartie).
Le CRR3 rend l’approche standard plus sensible au risque en introduisant de nouvelles catégories d’expositions ou de nouvelles pondérations plus granulaires (400 % par exemple pour les expositions spéculatives sur actions non cotées).
Concernant l’approche interne, celle-ci est davantage encadrée : il ne sera plus possible de l’utiliser pour les classes d’actifs qui ne peuvent être modélisées de manière robuste et prudente (portefeuilles à faible occurrence de défauts).
a. Inputs floors
Le CRR3 introduit la notion de « planchers » (input floors) appliqués à l’entrée des modèles sur les paramètres prudentiels pour toutes les expositions maintenues en approche modèles internes :
- Pour la probabilité de défaut (PD) : les planchers existants sont légèrement revus à la hausse et passent de 0,03 % (Bâle II) à 0,05 % (Bâle III) ;
- Concernant les paramètres de la perte en cas de défaut (LGD – Loss Given Default) et du risque lié aux facteurs de conversion de crédit (CCF- Credit Conversion Factors), le plancher de LGD est fixé à 25 % pour les expositions sur les entreprises non garanties et à 30 % pour les expositions générales sur la clientèle de détail non garanties. Le plancher de CCF est fixé à 50 % du CCF établi sur la base de l’approche standard applicable.
Ces planchers ne sont pas applicables aux expositions sur emprunteurs souverains.
b. Output floors
Le CRR3 introduit également la notion de « plancher de fonds propres » (output floors). Il fixe un seuil minimum pour les exigences de fonds propres calculées via les modèles internes des institutions, représentant 72,5 % des exigences de fonds propres qui seraient appliquées selon les approches standard. L’objectif est de diminuer la variabilité excessive des exigences de fonds propres déterminées par des modèles internes, afin de rendre les ratios de fonds propres des institutions plus comparables. Cette décision est basée sur une analyse qui montre que l’utilisation de modèles internes peut conduire à une sous-estimation des risques et, par conséquent, des fonds propres nécessaires.
2. Le risque opérationnel
Consacré par Bâle II (2004), le risque opérationnel est défini à l’article 10 (j) de l’arrêté du 3 novembre 2014 comme « le risque de pertes découlant d’une inadéquation ou d’une défaillance des processus, du personnel et des systèmes internes ou d’événements extérieurs, y compris le risque juridique ». Il inclut « notamment les risques liés à des événements de faible probabilité d’occurrence mais à fort impact, les risques de fraude interne et externe […] et les risques liés au modèle ».
Le CRR3 apporte quelques modifications sur le calcul du risque opérationnel avec :
- L’application d’un plafond sur la marge d’intérêts ;
- Une prise en compte des commissions de manière plus conservatrice (prise en compte du maximum entre les commissions reçues et payées) ;
- La prise en compte des gains et pertes sur les actifs financiers de manière séparée pour le portefeuille bancaire et le portefeuille de négociation;
- L’application d’un facteur progressif appliqué à l’indicateur d’activité.
Ainsi, le CRR3 ne tient compte que de l’indicateur d’activité et neutralise le deuxième indicateur bâlois (historique de perte).
Enfin, un coefficient marginal progressif par tranche d’activité (et non en fonction de l’activité) sera désormais appliqué.
3. L’intégration de nouveaux risques
a. Les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance
En outre, de nouveaux risques liés au changement climatique ont été intégrés : les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), ainsi que ceux associés à l’exposition des banques aux crypto-actifs.
L’intégration des risques ESG dans la gestion des risques et la gouvernance représente une avancée significative dans les nouvelles régulations, alignant les pratiques bancaires avec les objectifs de durabilité et de responsabilité sociale.
L’expansion des risques pris en compte dans les exigences de fonds propres est en effet devenue cruciale dans le contexte actuel et notamment en ce qui concerne la transition énergétique.
La gestion des risques ESG passera notamment par l’obligation pour l’organe de surveillance de chaque banque, d’assurer une connaissance, des compétences et une expérience collective adéquate en la matière. Un rapport de l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) est d’ailleurs attendu sur cette thématique.
L’Union européenne démontre ainsi une capacité d’adaptation face à l’émergence de ces risques et adopte une position proactive quant à leur gestion par les institutions financières.
b. Les risques relatifs aux crypto-actifs
Les risques relatifs aux crypto-actifs, quant à eux, sont traités par le règlement CRR3 qui devrait être complété par une nouvelle proposition législative d’ici 2025 afin de transposer le standard prévu par le Comité de Bâle en 2022 sur le sujet.
Dans sa revue de mars 2024, l’Autorité de supervision française a indiqué que « les législateurs ont fait le choix d’un traitement provisoire équilibré, à la fois simplifié par rapport au traitement bâlois, tout en étant conservateur (pondération à 250 % pour les expositions sur les émetteurs respectant les exigences du règlement MiCA et 1250 % pour les autres). Ce traitement s’appliquera à partir de mi-2024, au moment de l’entrée en application du règlement MICA, qui prévoit notamment un agrément obligatoire pour la fourniture de services sur crypto-actifs dans toute l’Union européenne. »
4. Les modifications concernant les établissements étrangers
En dernier lieu, ces nouvelles règles harmonisent les exigences minimales applicables à l’agrément de succursales de pays tiers et à la surveillance de leurs activités dans l’UE.
En effet, il s’agit de l’un des ajouts controversés de la CRD6 qu’est l’obligation pour les banques de pays tiers d’établir une succursale dans l’UE pour fournir des services bancaires de base.
Cette exigence a été modifiée pour inclure plusieurs exemptions, notamment pour les activités interbancaires et les transactions intragroupe, et elle n’affecte pas les contrats existants avant une certaine date.
Il s’agit d’une disposition qui n’existait pas dans la CRD5, ce qui indique une évolution vers une réglementation plus stricte des entités non européennes opérant au sein de l’UE.
Ces éléments viennent renforcer l’intégrité du monopole bancaire au sein de l’UE selon l’Autorité de supervision française via de nouvelles exigences prudentielles minimales.
Il est donc désormais interdit aux établissements de crédit provenant de pays tiers de fournir des services bancaires de base tels que la réception de dépôts, l’octroi de prêts ainsi que les garanties et engagements.
Conclusion
Ces nouveaux textes – la CRD6 et le CRR3 – représentent une évolution significative par rapport aux CRD5 et CRR2. Ils renforcent les exigences de capital, intègrent les risques ESG et améliorent les pratiques de gouvernance et de transparence. Ces changements sont essentiels pour répondre aux défis économiques actuels et futurs, tout en alignant le secteur bancaire sur les objectifs de durabilité et de responsabilité sociale.
Ces nouvelles mesures devraient donc bénéficier à l’économie européenne, les différentes réformes ayant continuellement amélioré les seuils de fonds propres des banques.
Cela n’est toutefois pas sans conséquence opérationnelle ou technique pour les établissements de crédit qui, au-delà des modifications à appliquer en matière de fonds propres, vont devoir entre autres adapter leur gestion des risques pour répondre aux attentes du législateur européen.
La CRD6 a notamment un impact majeur en matière de gouvernance dont les banques doivent tenir compte. Ce dernier point est d’autant plus crucial que la CRD6 élargit les pouvoirs de surveillance et les sanctions dont disposent les autorités de régulation.
Prochaine étape
Les États membres disposent d’un délai de 18 mois pour transposer la directive (CRD6) dans leur législation nationale.
Le règlement (CRR3), quant à lui, s’appliquera pleinement à partir du 1er janvier 2025 mais certaines dispositions seront applicables dès le 30 juin 2024.
Sources :
- CRD6 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CONSIL:PE_79_2023_REV_1
- CRR3 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CONSIL:PE_80_2023_REV_1