La Commission européenne a présenté en juin 2023 sa proposition de révision de la DSP2 avec deux textes : un projet de DSP3 et un projet de RSP1. Ces propositions visent à moderniser et renforcer le cadre réglementaire des services de paiement en Europe.
Une nouveauté introduite par les projets DSP3 et RSP1 réside dans l’accès direct des établissements de paiement et des établissements de monnaie électronique (ci-après « EP/EME ») aux systèmes de paiement.
I. Rappel – qu’est ce qu’un système de paiement ?
Un système de paiement est une infrastructure qui permet le transfert de fonds. Une définition d’un système de paiement est donnée dans la DSP2 et dans les projets de DSP3 et RSP1.
DSP2 – Article 4.7 | Projet de DSP3 – Article 2.7 Projet de RSP1 – Article 3.9 |
Un système permettant de transférer des fonds régi par des procédures formelles standardisées et des règles communes pour le traitement, la compensation et/ou le règlement d’opérations de paiement. | Un système de transfert de fonds régi par des procédures formelles standardisées et des règles communes pour le traitement, la compensation ou le règlement d’opérations de paiement. |
II. Le paysage actuel des systèmes de paiement
On distingue traditionnellement :
- Les systèmes de paiement de détail (retail payment systems – RPS) qui traitent les flux de paiement émis par la clientèle de particuliers et d’entreprises ;
- Les systèmes de paiement de montant élevé (large value payment system – LVPS) qui gèrent des transactions de montants importants, souvent entre institutions financières, et utilisés pour les règlements interbancaires.
D’autres systèmes de paiement ont émergé grâce aux innovations technologiques à l’instar des systèmes de paiement instantanés qui peuvent traiter rapidement des paiements de détail, ou des systèmes hybrides qui combinent certaines caractéristiques des deux catégories ci-dessus. La blockchain pourrait également apporter des changements structurants au modèle des systèmes de paiement actuels.
En outre, deux grands modèles de systèmes de paiement existent :
- Les systèmes à règlement brut en temps réel (real time gross settlement – RTGS). Le règlement s’effectue opération par opération, ce qui confère aux paiements une finalité immédiate si l’émetteur dispose de fonds suffisants, à défaut l’ordre de paiement est placé en file d’attente ;
- Les systèmes à règlement net différé (deferred net settlement – DNS). Les paiements échangés dans ce système font l’objet d’une compensation (netting). Il s’agit de calculer pour chaque participant un solde unique (solde net) vis-à-vis des autres participants (ou du système). Seuls les soldes nets font l’objet d’un règlement. Le caractère définitif des paiements n’est pas immédiat : ces derniers peuvent donc être remis en cause en cas de faillite de l’un des participants au système.
Différents systèmes de paiement existent tant paneuropéens comme TARGET-2 (système de règlement brut en temps réel détenu et géré par l’Eurosystème), STEP2 (système de paiement de détail géré par EBA Clearing), EURO1 (système de paiement de montant élevé à règlement net en euros, développé par les principaux établissements de crédit européens regroupés au sein de l’ABE, et opéré par l’EBA Clearing) que locaux (selon chaque pays) à l’instar de CORE en France (système de compensation des paiements de détail), de SEPA (EU), et de CSM Banca d’Italia (en Italie) ou encore Centrolink (en Lituanie). CORE (FR) est conçu et opéré par la société STET, dont le capital est détenu par plusieurs grandes banques françaises, et traite les moyens de paiement domestiques ainsi que les flux SEPA : les prélèvements (SDD – SEPA direct debit), et les virements (SCT – SEPA credit transfer). SEPA (EU), également opérés par la société STET, est le système français dédié aux paiements immédiats sous forme de virements instantanés (SCT Inst).
III. La situation aujourd’hui : un accès indirect des EP/EME aux systèmes de paiement
La participation indirecte est l’une des modalités d’accès aux systèmes de paiement. À ce jour, les EP/EME n’ont qu’un accès indirect aux systèmes de paiement. Ces derniers doivent en effet se raccorder à un partenaire chef de file. Il s’agit du modèle de la participation indirecte (ou « sous-participation »).
Le chef de file est nécessairement un établissement de crédit, ce qui exclut les EP/EME de la participation directe en vertu du droit positif. À titre d’exemple, s’agissant de TARGET-2, la participation directe est liée à l’ouverture d’un compte en monnaie de banque centrale dans les livres d’une banque centrale nationale participante à TARGET2. La participation directe à ce système est admise pour les établissements de crédit établis dans l’Espace économique européen (EEE) et ceux établis hors EEE, à condition d’avoir une succursale établie dans l’EEE. S’agissant d’un système de paiement de détail comme CORE(FR) ou SEPA(EU), un participant direct échange directement ses opérations avec les autres participants, tandis que le participant indirect fait passer ses opérations par l’intermédiaire d’un participant direct.
Il convient également de préciser que le chef de file a la possibilité de se connecter à plusieurs systèmes de paiement.
De plus, dans certains pays, à l’instar du Royaume-Uni, les EP/EME ont un accès direct à certains systèmes de paiement locaux.
IV. Avantages de la participation indirecte aux systèmes de paiement
Être participant indirect pour un EP/EME présente des avantages. En effet, l’EP/EME peut émettre ses propres IBANs et ses propres BICs. D’un point de vue de l’expérience utilisateur, le donneur d’ordre ou le bénéficiaire d’un virement SEPA par exemple, verra le nom de l’EP/EME associé au paiement, et non celui du chef de file.
En ayant leur propre BIC, les participants indirects peuvent changer de banque cheffe de file sans avoir à migrer les comptes de leurs clients. Cela signifie qu’ils peuvent changer de banque cheffe de file sans que cela n’ait d’impact sur les IBAN de leurs clients. Cela assure une continuité et évite les perturbations pour leur clientèle.
De plus, les participants peuvent émettre leurs propres IBAN dans les pays dans lesquels ils possèdent une licence ou ont des succursales. Cela leur permet d’émettre des IBAN locaux dans des pays où les clients et les bénéficiaires pourraient ne pas faire confiance aux IBAN étrangers et d’éviter toute discrimination à l’IBAN.
D’un point de vue des coûts, les coûts de setup associés à la participation directe sont moindres que les coûts de run, dans la mesure où le chef de file (et non le participant indirect) doit s’intégrer aux différents systèmes de paiement, ce qui requiert des développements conséquents.
D’un point de vue des flux, la participation indirecte offre aux EP/EME un meilleur contrôle et une visibilité sur leurs flux SEPA, particulièrement sur les R-transactions (transactions en échec). Ils peuvent élaborer leurs propres règles de secours lorsque de telles opérations surviennent et décider de leur propre politique concernant la facturation – ou non – des utilisateurs finaux.
Enfin, d’un point de vue de la conformité, le chef de file est entièrement responsable. Le participant indirect est tributaire de son chef de file participant direct. Les exigences de conformité sont moins lourdes pour un participant indirect.
V. Des acteurs de la sous-participation ont émergé
Certains acteurs se positionnent aujourd’hui en tant que facilitateurs de la sous-participation à l’instar de FORM3, Numeral et Centrolink. Ces acteurs s’intercalent entre les chefs de file et les participants indirects. Par exemple, Numeral est un acteur français qui fournit l’infrastructure permettant aux fintechs de se connecter aux banques partenaires, d’accéder aux systèmes de paiement et d’automatiser les opérations de paiement. Pour cela, Numeral propose aux EP/EME une intégration API avec leur chef de file. Numeral couvre les systèmes SEPA (UE) ainsi que BACS et FPS (UK), tandis que FORM3 (acteur UK) couvre les systèmes de paiement américains EPN, FedACH RTP et FEDNow. Quant à Centrolink, il s’agit d’un système de paiement opéré par la Banque Centrale de Lituanie, passerelle technique qui permet d’accéder à SEPA (TIPS, RT1, STEP2). Grâce à Centrolink, la Banque de Lituanie agit en tant que banque sponsor SEPA pour les EP/EME souhaitant opérer en tant que participants indirects SEPA.
VI. La situation demain : une participation directe des EP/EME aux systèmes de paiement
La DSP3 ajoute les EP/EME à la liste des établissements qui ont la possibilité de participer directement aux systèmes de paiement. En cela, la DSP3 s’accompagne d’une modification de la directive Finalité sur les systèmes de paiement et de règlement.
En d’autres termes, il sera désormais possible en vertu de la DSP3 et du RSP1 pour un EP/EME de devenir participant direct aux systèmes de paiement.
VII. Les implications pour les EP/EME du statut de participant direct
La participation directe des EP/EME permettrait de résoudre plusieurs problématiques associées à la participation indirecte, en particulier la dépendance à une banque cheffe de file qui peut conduire à augmenter le temps d’exécution des opérations de paiement compte tenu des lourdeurs de certaines banques.
Toutefois, plusieurs interrogations demeurent. Une en particulier : les EP/EME auront-ils un intérêt à rester participants indirects ?
Tous les EP/EME n’ont pas nécessairement la volonté de devenir participant direct. En effet, d’un point de vue financier, la participation directe suppose de nombreux coûts pour couvrir les investissements nécessaires et les contraintes associées au statut direct : le coût de raccordement direct aux systèmes de paiement, les frais d’adhésion, les frais annuels, certains frais administratifs, etc. Cela peut constituer une charge financière très lourde pour un EP/EME.
De plus, l’intégration nécessite des compétences techniques et fonctionnelles. La mise en œuvre d’une infrastructure technique pour se connecter directement aux systèmes de paiement peut prendre du temps.
VIII. Règles mises en place par les opérateurs de systèmes de paiement
a) Règles de non discrimination
Le projet de RSP prévoit la mise en place de règles et procédures d’accès proportionnées, objectives, non discriminatoires et transparentes par les opérateurs de système de paiement. Les chefs de file qui détiennent une clientèle EP/EME pour ce service doivent accepter tout autre prestataire de service de paiement (PSP) agréé ou enregistré qui souhaiterait se raccorder au système de paiement via leur intermédiaire de manière objective, proportionnée et non discriminatoire.
b) Évaluation des risques
Une évaluation des risques du PSP devra être menée sur tous les risques pertinents. En d’autres termes, un opérateur ne pourra pas rejeter la demande d’un EP/EME souhaitant accéder directement aux systèmes de paiement, sauf si l’EP/EME n’est pas en mesure de respecter les règles du système en question ou présente un niveau de risque inacceptable.
La surveillance du respect des règles et procédures d’accès par les opérateurs de système de paiement sera réalisée par la ou les banques centrales qui exercent cette surveillance ou par des autorités nationales compétentes.
Les nouvelles dispositions relatives à l’accès aux systèmes de paiement ne devraient en principe pas s’appliquer aux systèmes dont un seul PSP assure la mise en œuvre et le fonctionnement, par exemple les systèmes internes des groupes bancaires.
De plus, en cas de rejet de sa demande d’adhésion, l’EP/EME devrait pouvoir exercer un recours.
Cela fera peser une charge de travail lourde sur les opérateurs de système de paiement si ces derniers font face à un nombre important de demandes d’adhésion des EP/EME en tant que participants directs. Cela pourrait les conduire à adopter une approche progressive de mise en œuvre où seules quelques EP/EME pourraient adhérer à leur système en tant que participant direct.
IX. Perspectives
Si tous les EP/EME n’ont pas encore la volonté de devenir participants directs, il est primordial pour les EP/EME ayant l’ambition de devenir participants directs de déployer une stratégie compétitive qui anticipe les futurs coûts d’accès aux systèmes de paiement.
Le succès de cette mesure, si elle est adoptée, sera mesuré par le nombre et le pourcentage d’EP/EME ayant accès aux systèmes de paiement et ceux qui se verront refuser l’adhésion, ainsi que le nombre de recours contre une décision de refus.
Il reste à s’interroger sur la subsistance de ces dispositions dans la version définitive de la DSP3 et du RSP1 qui devraient être adoptées d’ici la fin de l’année.
Affaire à suivre.