La commission des sanctions de l’Autorité de supervision française a rendu une décision du 12 octobre 2023 prononçant un blâme et une amende de 3,5 millions d’euros à l’encontre de la société Abeille Vie anciennement Aviva Vie. Cette décision a été rendue publique le 20 octobre 2023.
Nous vous proposons d’aborder ensemble les griefs relevés lors du contrôle et retenus par la commission des sanctions de l’Autorité de supervision française (ci-après la « Commission ». Nous rappellerons pour chacun de ces griefs la définition retenue de l’obligation ainsi que les articles disposant de ces obligations.
La Commission a retenu 10 griefs démontrant que la société Abeille-Vie présente des carences significatives de son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
1er grief : une défaillance dans la connaissance du client
La connaissance du client ou KYC (Know Your Customer), est un processus utilisé pour vérifier l’identité des clients d’une entreprise. Les processus KYC sont utilisés par les entreprises pour s’assurer de la conformité des clients face aux réglementation anti-corruption, vérifier leur probité et intégrité, et prévenir l’usurpation d’identité, la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Ces processus se font habituellement par la collecte et l’analyse de données, la vérification de la présence sur les listes tel que la liste des personnes politiquement exposées, l’analyse du comportement et des transactions.
Cette obligation de la connaissance du client avant l’entrée en relation d’affaires et l’actualisation de cette connaissance au cours de la relation sont régies les articles suivants :
- L’article L. 561-5-1 du CMF
- L’article R. 561-12 du CMF
Le fondement de la première branche du grief :
Les procédures opérationnelles de la direction des services ne définissait pas la fréquence de mise à jour de la connaissance client. Il s’agit là d’un manquement d’actualisation des informations relatives à la connaissance du client.
L’incertitude concernant la seconde branche ne permet pas de fonder le manquement dans la collecte de la connaissance client relativement à la collecte des données s’appuyant uniquement sur des attestations recueillies auprès de différents intermédiaires.
2e grief : Le délai excessif dans le traitement des alertes relatives à la détection des personnes politiquement exposées (ci-après « PPE »).
Une Personne Politiquement Exposée (PPE) est une personne qui est considérée comme exposée à des « risques plus élevés » de blanchiment de capitaux. C’est un terme qui décrit une personne exerçant (ou ayant exercé) une haute fonction publique, ou qui est intimement associée à une telle personne.
En raison de leur position ou de leur influence, les PPE sont plus susceptibles d’être impliquées dans des affaires de corruption, de blanchiment d’argent ou de corruption. Elles peuvent utiliser leur influence ou les moyens mis à leur disposition en raison de leurs fonctions pour réaliser elles-mêmes leurs opérations de blanchiment ou utiliser des intermédiaires pour effectuer les opérations pour leur compte.
Le CMF prévoit dans son article L.561-32 du CMF que les organismes assujettis doivent mettre en place un dispositif afin de gérer les risques permettant de détecter les PPE. Par ailleurs, l’article R. 561-20-2 du CMF prévoit que les organismes assujettis doivent définir et mettre en œuvre des procédures adaptées aux risques de BC-FT auxquelles elles sont exposées.
Bien que la loi ne dispose pas d’un délai strict, il est entendu que le traitement de l’alerte doit intervenir avant l’entrée en relation d’affaire avec le PPE et être traité dans les meilleurs délais. Il apparaît que la société Abeille Vie avait pris la décision de mettre en place une procédure d’enquête le jour du déclenchement de l’alerte et de traiter l’alerte un délai de 10 jours. Néanmoins, elle s’est retrouvée à ne pas respecter sa propre procédure conduisant à des délais de traitement trop longs.
Par ailleurs, il est reproché à Abeille Vie un manquement relatif à la détection de nouvelles PPE en cours de la relation d’affaires conduisant à un manque d’actualisation de la situation du client. Le grief se fonde sur les lignes directrices de l’Autorité de supervision française relatives aux PPE publiées en avril 2018.
3e grief : les mesures de vigilance complémentaires concernant les PPE, devant être mises en œuvre par Abeille Vie, ne l’ont été que partiellement.
Les mesures de vigilance complémentaires sont des actions supplémentaires prises par les organismes assujetties pour minimiser les risques associés à certaines situations spécifiques, telles que les PPE. Elles sont généralement mises en œuvre lorsque le risque de BC-FT est jugé élevé.
Les personnes assujetties doivent mettre en œuvre des mesures de vigilance complémentaires à l’égard de leurs clients PPE selon l’article L. 561-10 du CMF. Par ailleurs, lorsqu’un client devient une PPE les mesures de vigilance complémentaires doivent lui être appliquées et une décision doit être rendue pour savoir si la relation d’affaire est maintenue ou abrogée (article R. 561-20-2 du CMF).
La commission constate notamment :
- L’absence de justification de décision prise par l’organe exécutif de maintenir ou de nouer une relation d’affaires avec une PPE.
- Des décisions prises dans des délais excessivement longs.
- L’absence de précision concernant le patrimoine du client et de l’origine des fonds utilisés dans les opérations.
4e grief : Des mesures de vigilances renforcées défaillantes
Si les organismes assujetties ont une relation d’affaires, une opération ou un produit présentant un risque de BC-FT, elles doivent mettre en place des mesures de vigilances renforcées selon l’article L.561-10-1 du CMF.
La commission constate :
Les mesures de vigilance étaient conditionnées par contrat et non pas par relation d’affaires. Il en résulte que certains clients sont passés sous le radar malgré un cumul des opérations au titres des différents contrats nécessitant une vigilance renforcée. Par ailleurs, les opérations d’un client placé sous surveillance, qui devaient faire l’objet d’une validation a priori dès le premier euro par la cellule LCB-FT d’Abeille-Vie, ne l’étaient pas s’il souscrivait un nouveau contrat.
Le niveau de vigilance n’a pas été correctement défini sur une partie de certains produits d’Abeille-Vie. Le contrôle a mis en exergue un taux de défaillance de 45% pour 143 dossiers analysés.
5e grief : La défaillance du dispositif de surveillance automatique
Pour rappel : Un dispositif de surveillance automatique est un système qui permet de surveiller en continu une activité, un processus ou un environnement. Il sert notamment dans la surveillance des flux financiers afin de détecter les activités suspectes et prévenir les risques de BC-FT.
En effet, la Commission relève que les scénarios définis par Abeille-Vie étaient incomplets et ne prenaient pas en compte des éléments figurant dans la classification des risques. Par ailleurs, le paramétrage de l’outil de surveillance ne permettait pas de tenir compte de certains clients faisant appel à des intermédiaires. Par conséquent certains clients avaient deux numéros d’identification différents réduisant la détection d’opérations atypiques. Pour finir, le traitement des alertes ne respectait pas un délai raisonnable entraînant des retards successifs.
6e grief : L’absence d’examen renforcé
Un examen renforcé est une procédure qui est mise en place lorsque certaines opérations présentent un risque élevé de BC-FT. Cela peut être le cas pour des opérations qui sont:
- Particulièrement complexes,
- D’un montant inhabituellement élevé,
- Ne paraissant pas avoir de justification économique ou d’objet licite.
Cet examen renforcé permet aux organismes assujetties de mieux comprendre la nature de ces opérations et d’évaluer les risques associés. En cas de soupçon suite à un examen renforcé, une déclaration doit être effectuée à Tracfin.
Ces obligations sont prévues à l’article L.561-10-2 du CMF.
En s’appuyant sur la décision du 1er décembre 2022, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc : « il est possible « de retenir un manquement à l’obligation d’examen renforcé ou à l’obligation d’informer Tracfin de certaines opérations pour un dossier individuel, sans avoir d’abord caractérisé une défaillance générale de l’organisme assujetti dans ce domaine » ».
C’est ainsi que la commission fonde ce manquement pour 14 dossiers sur les 15 dossiers présentés lors du contrôle.
7e grief : Le non-respect de l’obligation de déclaration de soupçon
Une déclaration de soupçon est une obligation légale qui incombe aux organismes assujetties de prévenir les risques liés à l’utilisation du système financier aux fins de BC-FT.
Elle est adressée à TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), un service de renseignement financier français. Les déclarations portent sur les sommes ou les opérations dont les organismes financiers savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme.
Cette déclaration doit intervenir avant l’exécution ou la réalisation de l’opération. Ce n’est qu’exceptionnellement et dans des circonstances spécifiques que le professionnel peut transmettre une déclaration de soupçon après l’exécution ou la réalisation de l’opération. Les tentatives d’opération doivent également être déclarées à TRACFIN
Ces obligations sont prévues par l’article L.561-15 du CMF.
La Commission relève ainsi une défaillance pour 7 dossiers sur les 10 dossiers relevés lors du contrôle. Il apparaît donc que la société Abeille-Vie aurait dû signaler les opérations à Tracfin.
8e grief : Le non-respect de l’obligation d’adresser une déclaration de soupçon complémentaire
Une déclaration de soupçon complémentaire est une déclaration qui est faite après une première déclaration de soupçon, lorsque de nouvelles informations ou des éléments supplémentaires sont découverts. Ces informations peuvent renforcer le soupçon initial ou apporter des précisions sur la nature des opérations suspectes.
La déclaration de soupçon complémentaire permet d’actualiser les informations déjà transmises à TRACFIN et d’enrichir le dossier initial. Elle peut être effectuée à tout moment après la première déclaration, dès que de nouvelles informations pertinentes sont disponibles. Néanmoins, en vertu de l’article L.561-15 du CMF cette dernière doit être transmise dans les meilleurs délais afin de permettre à TRACFIN mettre à jour ses enquêtes.
La Commission relève que 7 dossiers ont fait l’objet d’un manquement à l’obligation de déclaration de soupçon complémentaire. En effet, les clients avaient procédé à des versements complémentaires d’un montant supérieure à la norme relative à la situation financière des clients. Par ailleurs, la situation financière de certains clients n’étaient pas connue et l’origine des fonds ayant participé à l’opération était inconnue.
9e grief : le délai moyen de transmission des déclarations de soupçon tardives à Tracfin était élevé
En vertu de l’article L. 561-16 du CMF, une opération qui doit faire l’objet d’un déclaration de soupçon mais qui pour des raisons techniques n’a pas été réalisé avant l’exécution de ladite opération doit faire l’objet d’une déclaration de soupçon tardive sans délais afin que TRACFIN puisse prendre connaissance de cette opération.
Selon, les informations transmises par Abeille-vie le délai moyen de transmission en 2018 était de 366 jours et de 184 jours en 2019. Cependant, la commission relève un délai moyen de 401 jours concernant les dossiers analysés. Il apparaît de toute évidence que le délai moyen de transmission est bien trop élevé en comparaison aux dispositions de l’article L.561-15 du CMF faisant état d’une transmission d’information « sans délai ».
10e grief : L’absence de contrôle permanent des activités de LCB-FT externalisées
Le contrôle permanent est une composante essentielle du dispositif de contrôle interne d’un organisme assujetti. Il comprend deux niveaux indissociables :
- Contrôle permanent de niveau 1 :
- Il s’agit des contrôles réalisés par les opérationnels au fil de l’eau, complétés par les contrôles de leur hiérarchie. Ces contrôles peuvent être centralisés dans une cellule dédiée, déchargeant ainsi les opérationnels de ces tâches de contrôle.
- Contrôle permanent de niveau 2 :
- Il comprend des agents, au niveau des services centraux et locaux, exclusivement dédiés à cette fonction. Ils sont totalement indépendants du niveau 1 et leur mission est d’une part de s’assurer de la fiabilité des contrôles réalisés par le niveau 1 mais également de diligenter leurs propres contrôles.
Le rôle principal du contrôle permanent est d’assurer un fonctionnement central du dispositif de contrôle interne le plus efficace et efficient possible. Les deux niveaux du contrôle permanent interagissent afin de s’assurer que les opérations réalisées par les opérationnels au fil de l’eau soient le plus sécurisées possible.
Ces obligations sont prévues par les dispositions de l’article R.561-38-4 du CMF.
L’article R.561-38-2 du CMF prévoit que l’organisme assujetti peut externaliser ce processus de contrôle permanent mais reste responsable du respect des obligations.
Les dispositions de l’article R.561-38-5 du CMF précise que l’organisme assujetti doit s’assurer que le dispositif de contrôle interne porte aussi sur les activités confiées au prestataire de contrôle interne.
En l’occurrence, la Commission relève que l’ensemble de ces obligations ne sont pas remplies ou insuffisamment respectées par la société Abeille Vie. Ce contrôle permanent aurait permis de constater les défaillances relevées par la mission de contrôle. Cette dernière a en effet identifié 43 cas, soit 69 % des relations d’affaires analysées sur le périmètre du GIE AFER, pour lesquels les diligences LCB-FT n’ont pas été correctement effectuées.
Sources : https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/media/2023/10/20/20231019_decision_abeille_vie.pdf