La concurrence déloyale liée au non-respect des obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

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1. Présentation et définitions

Les entreprises assujetties à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) ont pour obligation d’implémenter au sein de leur gouvernance un volet LCB-FT. Ce process se matérialise notamment par l’implémentation d’une classification des risques, d’une cartographie générale des risques, d’une cartographie LCB-FT des risques, ainsi que de nombreux dispositifs notamment concernant l’entrée en relation, la surveillance des flux ou encore celui de déclaration à Tracfin. A cela s’ajoutent les contrôles périodiques de 3ème niveau portant sur l’efficacité du programme mis en place par le biais d’audits.  

Ainsi, la LCB-FT et la mise en place de dispositifs l’accompagnant apparaissent comme représentant un processus complexe, mobilisant d’importants investissements financiers et humains et donc un coût certain pour les entreprises. En effet, il est difficile pour une structure de petite taille de mettre en place un dispositif LCB-FT robuste. C’est la raison pour laquelle certaines sociétés tentent d’y échapper.

Toutefois, il existe un principe de loyauté entre les entreprises les obligeant à s’abstenir de certains actes et de certaines pratiques pouvant leur être profitables, mais contraires à la loyauté dans la concurrence et à la confiance gouvernant les rapports d’affaires.

Les actes de concurrence déloyale se définissent comme l’ensemble des techniques ou pratiques commerciales utilisées par des entrepreneurs contraire à la morale des affaires et venant fausser le jeu de la libre concurrence.

La concurrence déloyale relève de la responsabilité civile de droit commun fondée sur l’article 1240 du code Civil. Elle est généralement considérée comme un abus de droit entraînant la responsabilité de son auteur, il faut ainsi démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité.

En l’espèce, une première société avait assigné devant le président d’un tribunal de commerce une seconde société, spécialisée dans la distribution de cartes prépayées.

La seconde société a alors invoqué une concurrence déloyale de la part de la première société en raison de son non-respect de la réglementation bancaire et a demandé la communication de pièces comptables et administratives.

La cour d’appel, dans sa décision du 1er juillet 2021, avait tranché en faveur de la seconde société, ordonnant à la première de fournir certaines pièces comptables.

Cette décision a été contestée par la première société devant la Cour de cassation qui a décidé dans un arrêt rendu le 27 septembre 2023 (n°21-21.995) que « le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires. Il en résulte que le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci  un avantage  concurrentiel indu, qui peut être  constitutif d’une faute  de concurrence déloyale ».

 

2. Avantage concurrentiel de la société non conforme

Afin de qualifier la concurrence déloyale, il est possible de relever le fait que :  

  • La faute correspond à l’avantage concurrentiel indu résultant du non-respect des obligations liées à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, 
  • Le préjudice résulte de la conséquence de l’avantage concurrentiel indu en raison du non respect d’obligations contraignantes et nécessitant un investissement financier et humain, et 
  • Le lien de causalité correspond à l’avantage concurrentiel indu représentant  la cause directe du déséquilibre concurrentiel 

 

En effet, l’action en concurrence déloyale, en raison du non respect par le défendeur de ses obligations en matière de LCB-FT, est susceptible de donner lieu à une indemnisation au profit d’un tiers. Ainsi, les entreprises qui ne se conforment pas aux exigences de LCB-FT ne risquent plus seulement de devoir payer des amendes mais aussi de devoir indemniser des préjudices.

Néanmoins, la société qui s’estime lésée en raison d’un concurrent bénéficiant d’un avantage concurrentiel indu n’a pas à évaluer son préjudice seule puisque la société qui a cet avantage indu doit fournir les documents comptables qui permettront de déterminer le montant de l’indemnisation.

Ce raisonnement résulte du fait qu’une société qui se soumet aux exigences réglementaires en matière de LCB-FT doit prévoir des coûts liés aux moyens humains et matériels nécessaires au respect de ces exigences. Ainsi, elle doit embaucher du personnel respectant des conditions d’honorabilité, de connaissances, de compétences et de l’expérience nécessaire à l’exercice de leur fonction (conformément aux obligations résultant de l’arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services d’investissement soumises au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) et également mettre en place des process, des outils et des contrôles. Il s’agit là d’un investissement conséquent. Une société qui refuserait de respecter ses obligations en matière de LCB-FT ferait ainsi des économies (bien que les amendes infligées sont souvent importantes lorsqu’il y a des sanctions). 

De plus, les fonds qui devraient être alloués au respect des obligations LCB-FT pourront alors être alloués à d’autres domaines, comme le développement d’autres offres par exemple. Aussi, la négligence lors des onboarding  avec des clients pour lesquels l’entrée en relation serait interdite et tout au long des relations, due au manque de contrôle, pourrait permettre d’avoir davantage de clients et donc de faire davantage de profits.

 

3. Les avantages d’un dispositif LCB-FT conforme

La mise en place de dispositif LCB-FT se révèle toutefois rapidement être un atout en matière de compétitivité. En effet, le fait d’implémenter un bon dispositif LCB-FT permet d’assurer une bonne image de l’entreprise, car elle représente un facteur de confiance pour les clients et fournisseurs ainsi qu’un gage de conformité et de bonne gouvernance pour les actionnaires et les autorités de régulation.

Ainsi la mise en place de dispositifs LCB-FT peut représenter un coût financier, toutefois ces dispositifs s’avèrent être une obligation réglementaire et un outil essentiel au niveau opérationnel. En effet, la maîtrise de l’ensemble de ce processus organisationnel peut se révéler être une source réelle d’avantage concurrentiel et un levier puissant de création de valeur.

Par ailleurs, une nouvelle question pourrait se poser : est-ce que ce raisonnement sur l’avantage concurrentiel indu pourrait être appliqué à l’avenir à d’autres types de réglementations ?

Il est à noter que la Cour de cassation a déjà rappelé que le non-respect d’une réglementation induisant un avantage concurrentiel constitue un acte de concurrence déloyale (Cass. 17 mars 2021, n°19-10.414). De plus, le même type de décision a été rendu en matière de conformité au RGPD (Règlement général sur la protection des données – Tribunal Judiciaire de Paris, 15 avril 2022 n°19/12628).

Cette décision en matière de LCB-FT pourrait constituer un argument pour les établissements assujettis afin d’attaquer leurs concurrents qui ne respecteraient pas les mêmes règles. Ainsi, dans le monde du paiement, compte tenu des divergences d’interprétation des règles entre les autorités locales, on peut imaginer que des prestataires de services de paiement (PSP) locaux puissent attaquer des PSP étrangers qui auraient des obligations de mise en œuvre moins intenses. Cela ouvrirait la voie à de nombreux contentieux en perspective.

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