MiCA & DSP2 : l’émergence de fintechs hybrides

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  1. Contexte 

Le 6 décembre 2024, la Commission européenne a envoyé une lettre à l’ABE l’invitant à étudier la possibilité d’émettre un avis sur l’application des exigences relatives à l’autorisation de la DSP2 en ce qui concerne les services relatifs aux jetons de monnaie électronique (e-money token : EMT) fournis par des prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA/CASP).

Le 10 juin 2025, l’Autorité bancaire européenne (ABE) a publié une lettre de non-intervention (EBA/Op/2025/08), qui prend la forme d’un avis, adressée aux institutions européennes et aux autorités nationales compétentes (ANC). Cette position non contraignante vise à clarifier l’articulation entre le règlement MiCA et la DSP2.

La publication de cet avis intervient face à une difficulté juridique importante liée à la coexistence de ces deux corpus normatifs, concernant en particulier les CASPs manipulant des e-money tokens (EMTs) c’est-à-dire des stablecoins qualifiés de monnaie électronique.

Il est à noter que l’ABE a demandé à plus de 100 acteurs du monde crypto, des établissements de paiement (EP) et des établissements de monnaie électronique (EME), de lui faire part de leur réflexion, lors d’un atelier organisé 2 mois avant la finalisation de cet avis.

Objectif 

L’objectif de l’avis de l’ABE est de clarifier : 

  • Les types de transactions EMT que les ANC sont invitées à ne pas considérer comme des services de paiement et qui ne nécessitent donc pas d’autorisation supplémentaire ; 
  • Et, s’agissant des transactions EMT qui nécessiteront une autorisation supplémentaire, les dispositions de la DSP2 qu’il est recommandé de ne plus considérer comme prioritaires aux fins de la surveillance et de l’exécution, et la date à partir de laquelle elles le seront.

L’ABE recours exceptionnellement à une lettre de non-intervention lorsqu’elle constate que l’application stricte d’une réglementation soulève des difficultés majeures d’interprétation, des incertitudes pratiques ou des risques de double contrainte juridique. Elle vise à sécuriser temporairement l’application du droit, sans créer de nouvelle norme contraignante.

Origine du conflit réglementaire MiCA /la DSP2

Le conflit juridique découle de la double nature juridique des EMTs :

  • En vertu de l’article 48(2) de MiCA, les EMTs sont assimilés à de la monnaie électronique.
  • A ce titre, ils relèvent également de la notion de « fonds » au sens de l’article 4(25) de la DSP2.

Cette double qualification entraîne potentiellement une double soumission réglementaire pour les CASPs : autorisation sous MiCA et autorisation additionnelle de PSP (prestataire de services de paiement) sous la DSP2.

Jusqu’à présent, les situations concrètes dans lesquelles une double autorisation était requise demeuraient incertaines, alimentant un risque d’arbitrage réglementaire et d’insécurité juridique.

  1. Qualification de certains services sur crypto-actifs en tant que services de paiement  

L’ABE clarifie les services relevant de la DSP2 lorsqu’ils portent sur des jetons de monnaie électroniques (EMTs), en distinguant ceux qui doivent en relever de manière transitoire et ceux qui en sont exclus.

Sont considérés comme des services de paiement au titre de la DSP2 :

  • Les transferts d’EMTs pour le compte de clients ;
  • La conservation et l’administration de ces mêmes EMTs.

De plus, l’ABE conseille de qualifier un portefeuille de conservation comme un compte de paiement, lorsque celui-ci permet l’envoi et/ou la réception d’EMTs à destination/en provenance d’un tiers. Nous reviendrons sur ce point plus loin.  

En revanche, ne devraient pas être considérés comme des services de paiement  :

  • les opérations d’échange crypto/fiat ;
  • les échanges crypto-crypto ;
  • l’intermédiation dans l’achat de crypto-actifs effectuée au moyen d’EMTs.

Cette  position de l’ABE n’est guère surprenante. Le considérant 90 de MiCA dispose en effet que “certains services sur crypto-actifs, en particulier la conservation et l’administration de crypto-actifs pour le compte de clients, le placement de crypto-actifs et les services de transfert de crypto-actifs pour le compte de clients, pourraient se recouper avec les services de paiement définis dans la [DSP2]”. De plus, en “fonction des caractéristiques précises des services associés  au transfert de jetons de monnaie électronique, ces services pourraient relever de la définition des services de paiement” (considérant 93), auquel cas lesdits transferts nécessiteraient un agrément DSP2.

  1. Calendrier 

Période transitoire

Pour les CASP fournissant des services sur crypto-actifs qualifiés de services de paiement, une autorisation DSP2 pourrait être exigée au moyen d’une procédure simplifiée assortie d’une période transitoire

  • Une période de transition jusqu’au 1er mars 2026 avant d’obtenir une telle autorisation, afin de s’assurer que les CASP qui effectuent déjà des transactions EMT qualifiées de services de paiement cessent pas leur activité avant d’avoir obtenu un agrément PSP ; 
  • Postérieurement au 1er mars 2026, les entités qui ne sont pas agréées en tant que PSP ou qui n’ont pas conclu de partenariat avec un PSP ne pourront pas fournir des services liés aux EMT en question. Ce point est intéressant, la notion de “partenariat” pourrait renvoyer à la notion d’agent de paiement. Nous y reviendrons plus loin.

On sait que des agréments dits “simplifiés” sont permis par la réglementation à l’instar de l’agrément EP simplifié ou d’EME simplifié. Faut-il entendre la procédure simplifiée mentionnée ici par l’ABE comme étant un agrément EP/EME simplifié ? Il semble que ce ne soit pas possible, compte tenu de la nature transfrontalière des services sur crypto-actifs (les CASP bénéficient en effet du passeport européen) tandis que la fourniture de services de paiement en vertu d’un agrément simplifié se limite au seul territoire national.

Procédure simplifiée

Durant la période transitoire, les autorités nationales compétentes appliqueront des procédures d’instruction simplifiées, fondées sur la réutilisation des données déjà collectées lors de l’agrément MiCA (principe de « streamlining » issu de l’article 62(4) de MiCA). A ce titre, les autorités nationales devront s’appuyer autant que possible sur les informations fournies par l’établissement en vertu de son agrément CASP, étant précisé que l’agrément EP/EME accordé au CASP devra être aligné  sur les activités que le demandeur a déclaré avoir l’intention d’offrir. Le CASP pourra fournir des informations actualisées relatives aux informations déjà fournies au moment de l’instruction de son dossier d’agrément CASP.

Les acteurs qui auront l’agrément PSP (ou auront établi un “partenariat” avec un PSP) d’ici là, seraient supervisés de manière non exhaustive : seules certaines obligations propres aux PSP devraient faire l’objet d’une supervision par les autorités : l’authentification forte (2FA) , le signalement des fraudes et le calcul des fonds propres. 

Focus sur les fonds propres

L’ABE suggère un cumul des exigences de fonds propres de MiCA et de la DSP2.

L’ABE prend l’exemple d’un CASP agréé pour le service de conservation de crypto. Cette catégorie de CASP relève de la classe 2 au sens de MiCA. Ces derniers doivent, par conséquent,  détenir un capital minimum de 125k€.

Puisque ce service est qualifié de service de paiement, le CASP doit obtenir un agrément EP. Le capital initial d’un EP agréé pour fournir les services de paiement 1 à 5 (versement/retrait d’espèces sur/depuis un compte de paiement, SCT, SDD, paiement par carte, émission/acquisition) est de 125k€ également. 

Dans cette hypothèse, le capital minimum de base cumulé requis pour l’établissement serait de 250k€.

Authentification forte et lutte contre la fraude

L’authentification forte du client (SCA) s’appliquerait immédiatement à l’ensemble des opérations critiques portant sur les EMTs : tant à l’accès aux custodial wallets (portefeuilles dans lesquels le prestataire conserve et contrôle les moyens d’accès aux crypto-actifs pour le compte du client) qu’à l’initiation de tous les transferts d’EMTs.

Reporting fraude

Le reporting des incidents de fraude est différé jusqu’au 2 mars 2026. À compter de cette date, les CASPs seront tenus de notifier les fraudes dans le périmètre et selon les modalités définies par les lignes directrices de l’ABE. Ces lignes directrices précisent les délais de notification, les catégories d’incidents à couvrir (tentatives d’accès non autorisé, transferts frauduleux, etc.) et les formats de données à fournir aux autorités, en application de l’article 96(6) de la DSP2.

Protection des fonds

MiCA prévoit des exigences de conservation spécifiques aux CASPs/PSP (art. 70) notamment ceux qui détiennent des EMT pour le compte de clients. On rappellera également que l’article 54 de MiCA indique qu’au moins 30% des fonds reçus par les émetteurs d’EMTs doivent être protégés sur des comptes ségrégués auprès d’établissements de crédits.

L’ABE conseille aux autorités nationales de ne pas prioriser la surveillance ni l’application des dispositions de l’article 10 de la DSP2 (relatives à la protection des fonds, dont le cantonnement) par les CASPs/PSP dans le but de protéger les EMTs ou les moyens d’accès à de tels crypto-actifs.

Open Banking

Les dispositions de la DSP2 relatives à l’accès aux comptes par des tiers ne sont pas applicables aux custodial wallets gérés par les CASPs. l’ABE renvoie à la DSP3 et au futur règlement sur l’accès aux données financières (FIDA) la clarification des obligations d’ouverture d’API pour ces prestataires, afin de déterminer si et comment ils devront, à terme, offrir à des tiers un accès sécurisé à leurs interfaces.

Acteurs crypto opérant sous le régime de la clause de grand père

Enfin, l’avis de l’ABE s’applique également aux CASPs bénéficiant du régime transitoire prévu à l’article 143(3) de MiCA (la “clause de grand-père”). Aucun ordre de priorité n’est fixé entre les procédures d’autorisation MiCA et DSP2, les autorités nationales étant encouragées à coopérer afin de faciliter l’instruction des dossiers et limiter les doublons.

Une dépriorisation de certaines obligations issues de la DSP2

A contrario, les autres règles prévues par la DSP2 dont celles relatives à la protection de l’utilisateur ou en matière de transparence (frais, etc) ne devraient pas être priorisées par les autorités nationales. Cela pourrait s’expliquer par le fait que, contrairement à la DSP2, MiCA contient peu de dispositions relatives à la protection des consommateurs et, par exemple, ne définit pas les devoirs et les responsabilités des parties concernées (les CASP et leurs utilisateurs). Aussi, dans certains cas, le montant exact de ces frais ne peut pas être connu à l’avance par le CASP (par exemple, pour les transactions en chaîne). L’obligation d’information tarifaire n’exige qu’une estimation préalable des frais applicables, reconnaissant que ceux-ci peuvent varier en fonction de la congestion du réseau blockchain (notamment pour les gas fees) et qu’il est impossible de garantir, ex ante, un montant définitif. Par conséquent, les prestataires peuvent indiquer une fourchette ou un mode de calcul plutôt qu’un taux ferme, pour autant que la méthode de détermination soit claire et transparente pour le client.

De même, il peut arriver que le CASP ne puisse pas connaître à l’avance le temps d’exécution exact d’une transaction on-chain en raison de l’encombrement du réseau de la blockchain. A cet égard, l’ABE renvoie la question à l’appréciation du législateur européen : “compte tenu des implications pertinentes d’une telle interprétation, y compris en termes de responsabilité des parties, cet aspect devrait être soigneusement évalué par la Commission, le Conseil et le Parlement de l’UE”.

Par ailleurs, aucune norme transitoire ne fixe de délai maximal d’exécution des opérations, les contours des rails de paiement blockchain ne permettant pas toujours de garantir des délais comparables à ceux des systèmes bancaires traditionnels. Il appartient néanmoins au prestataire de déployer des procédures internes de suivi et de reporting des temps de traitement.

En outre, la mise à disposition d’un identifiant de compte unique, tel que l’IBAN pour les instruments de monnaie électronique classiques, est suspendue. Les prestataires peuvent recourir à tout identifiant interne garantissant l’unicité et la traçabilité des portefeuilles d’EMTs, à condition de pouvoir le relier univoquement à l’utilisateur et de fournir au client un moyen fiable de réception des fonds.

Enfin, les obligations relevant de l’open banking, notamment la mise en place d’interfaces de programmation (API) conformes aux spécifications de la DSP2 pour l’accès aux comptes, sont différées jusqu’à l’entrée en vigueur de DSP3. Cette suspension vise à éviter qu’une exigence technique inadaptée ne retarde la mise en œuvre opérationnelle des solutions EMT, tout en maintenant la perspective d’une future harmonisation des accès et un renforcement de l’interopérabilité dans le cadre de la révision des services de paiement. 

Un calendrier à lire en parallèle de celui prévu par le projet DSP3 : vers une hausse significative des dossiers à instruire par les autorités nationales ?

Rappelons que le projet DSP3, adopté en 2023, comprend deux projets de textes : la DSP3 (3e directive sur les services de paiement) et le RSP1 (règlement sur les services de paiement). La version définitive des textes est attendue d’ici la fin de l’année. Pour davantage d’informations, nous renvoyons le lecteur vers notre analyse du projet DSP3

Il est intéressant de noter que le projet DSP3 prévoit que dans un délai de 24 mois après l’entrée en vigueur de cette dernière, les EP/EME déjà agréés devront actualiser leur demande d’agrément. Cela supposera donc d’actualiser les éléments clés du dossier d’agrément. Les EP/EME devront donc justifier de leur conformité avec la DSP3 mais également les réglementations en vigueur qui ont largement évolué ces dernières années. 

A noter cependant, que le projet de DSP3 prévoit que les EP/EME peuvent bénéficier d’une clause de maintien de leur agrément jusqu’à 30 mois après l’entrée en vigueur de celle-ci à condition qu’ils fournissent à l’autorité locale (dans les 24 mois qui suivent l’entrée en vigueur de la DSP3) les informations demandées par cette dernière (le texte ne précise pas le niveau de détail attendu).  

Le texte prévoit également que les autorités locales puissent mettre en œuvre un dispositif d’agrément automatique sous réserve que les EP/EME apportent la preuve de leur conformité avec la DSP3 (idem, le texte ne précise pas le niveau de détail attendu). Cependant, pour qu’une autorité puisse juger de la conformité d’un EP/EME, cela suppose que ce dernier ait communiqué un reporting suffisamment détaillé. Est-ce que l’Autorité de supervision française optera pour le renouvellement systématique des demandes d’agrément, ou prévoira-t-elle la mise en place d’un dispositif d’agrément automatique ? Si oui, comment s’assurera-t-elle de la conformité des EP/EME ? 

En tout état de cause, les autorités nationales compétentes en charge de la délivrance d’un agrément EP/EME, en France l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), devraient faire  face à une hausse significative de l’instruction des dossiers : 

  • des nouveaux acteurs souhaitant obtenir un agrément EP/EME ;
  • des acteurs déjà agréés EP/EME et devant actualiser leur demande EP/EME conformément à la DSP3 ;
  • des dossiers d’entités souhaitant devenir agent d’un EP/EME ;
  • des CASP souhaitant un agrément EP/EME ;
  • des CASP souhaitant devenir agent d’un EP/EME.

4. Recommandations structurelles proposées par l’ABE

L’ABE relève que l’application concomitante de MiCA et de la DSP2 aux services portant sur les EMTs soumettrait les établissements à une double procédure d’agrément disproportionnée et susceptible d’entraver le développement du marché. Afin d’y remédier, elle soumet à l’attention des législateurs deux scenarii principaux.

En premier lieu, elle préconise l’intégration, au sein de MiCA, des dispositions essentielles prévues par la DSP2 (transparence tarifaire et contractuelle, droits et obligations des utilisateurs, authentification forte, reporting des fraudes, exigences prudentielles relatives au capital initial et aux fonds propres) et de celles anticipées pour DSP3. Cette option, consistant à instituer un « MiCA enrichi », permettrait de concentrer la régulation des CASPs sous un seul agrément et de maintenir un niveau de protection des consommateurs équivalent à celui de la DSP2. Cette approche pourrait conduire à une révision de MiCA en tenant compte du processus législatif en cours du projet DSP3/RSP1. A cet égard, dans sa lettre du 6 déc 2024, la Commission européenne avait suggéré qu’elle « accueillerait favorablement [les] propositions [de l’ABE] concernant d’éventuels changements législatifs au cours des négociations de la PSD3/PSR à venir”. C’est en tout cas ce que conseille l’ABE au législateur européen. Dans un tel scénario,  les EMTs qualifiés de “services de paiement” seraient considérés comme une sous-catégorie de services sur crypto-actifs dans MiCA.

À titre subsidiaire, l’ABE propose, pour le volet futur DSP3/PSR, d’inscrire expressément les services de paiement sur EMTs dans le champ d’application de la directive et du règlement à venir, assorti d’une procédure de notification allégée pour les CASPs déjà autorisés en vertu de MiCA, de telle sorte qu’ils puissent mobiliser les pièces et informations déjà validées lors de leur agrément crypto.

L’option consistant à ne pas faire évoluer le cadre législatif est expressément écartée : elle entraînerait inévitablement des divergences d’interprétation entre États membres, des distorsions de concurrence et altérerait la protection des utilisateurs. En attendant l’entrée en vigueur de DSP3 et du PSR, la présente lettre de non-intervention constitue un régime transitoire jusqu’au 2 mars 2026, mais seule une réforme législative rapide et harmonisée permettra de pérenniser ce nouveau dispositif.

2 options s’offrent alors aux CASP : 

  • Soit obtenir un agrément EP/EME
  • Soit conclure un “partenariat” avec un PSP, en d’autres termes devenir agent / distributeur d’un PSP.
  1. L’émergence de fintechs hybrides

Bien que l’ABE reconnaisse que la dualité de statuts (CASP + EP/EME) représente une charge disproportionnée, elle s’aligne sur la logique MiCA qui prévoit déjà la nécessité d’un agrément en vertu de la DSP2 dès lors qu’un CASP fournit, directement ou indirectement, des services de paiement liés à son activité (art. 70.4 MiCA).

L’avis de l’ABE conforte l’émergence de fintechs dites hybrides sur le marché, phénomène que nous observons depuis plusieurs mois. Il s’agit de fintechs qui combinent plusieurs statuts, par exemple le statut PSAN (régime français) couplé avec l’agrément EP ou EME. Certains PSAN ont également opté pour le statut d’agent d’un EP/EME afin de proposer à leur clientèle des comptes de paiement en euros et des services en marque blanche à leur propre clientèle sans avoir l’agrément EP/EME en propre.

Le modèle de “cryptobanque” se développe grâce à ce modèle d’agent, ce qui permet aux PSAN de proposer à la fois des comptes de paiement en euros et des services sur actifs numériques. Nous attirons l’attention du lecteur sur l’emploi du terme “banque” : l’ACPR a par le passé rappelé à l’ordre certaines fintechs du paiement qui utilisaient le terme “néobanque” dans leur communication, ce qui est strictement interdit en raison de leur agrément EP/EME.

La dualité de statuts vise à protéger l’utilisateur de services de paiement, en particulier le consommateur, qui pourrait croire bénéficier de droits relatifs au “paiement” alors qu’il utilise un service crypto. Beaucoup de CASPs mettent en avant leurs services comme des “paiements”, alors que les droits et garanties diffèrent selon le statut du prestataire.

Mais cette dualité pourrait créer une lourde charge administrative, notamment pour les autorités nationales compétentes, surtout dans les pays où la supervision des CASPs et celle des EP/EME relèvent d’autorités différentes.

  1. Perspectives pour le marché du Banking-as-a-service (BaaS) et le modèle d’agent

Si l’avis de l’ABE est suivi d’effet, alors la possibilité pour les CASPs, proposant certains services sur EMTs qualifiés de services de paiement, de s’adosser à un PSP devrait dynamiser le marché du Banking-as-a-Service (BaaS) et conforter le modèle d’agent/distributeur.

Les acteurs BaaS pourront alors y voir de nouvelles opportunités en adressant le marché des crypto-actifs. En France, les acteurs franco-français du BaaS sont essentiellement des EME avec un modèle d’agent/distributeur assez développé comparativement à d’autres pays. Les agents/distributeurs sont des acteurs variés, plusieurs verticales étant concernées par leurs activités (cartes cadeaux, crowdfunding, marketplaces, néobanque pour mineurs, gestion financière, buralistes, stations services, etc), et bientôt les crypto-actifs. Certains acteurs bancaires pourraient y voir une très belle opportunité de rentabiliser leurs filiales BaaS. 

On se souvient pourtant que l’ABE avait relevé, dans un rapport sur les risques BC-FT propres aux EP, un risque particulier lié aux canaux de distribution, en particulier le recours à des intermédiaires (avec un accent prononcé sur les agents de paiement). En effet, l’ABE avait soulevé : 

  • La variété des modèles commerciaux des agents, leur activité principale n’étant pas toujours liée au secteur des services financiers ce qui pourrait limiter la sensibilisation des agents aux règles de LCB-FT.
  • Le fait que de nombreux agents servent un ou plusieurs EP en même temps et que certains agents changent fréquemment d’EP ce qui peut rendre difficile la surveillance par les EP de leurs réseaux d’agents et créer d’importantes faiblesses dans les systèmes et les contrôles de LCB-FT.
  • Le modèle en marque blanche impliquerait que les agents pourraient avoir le contrôle de la relation commerciale, y compris la communication avec les utilisateurs de services de paiement. Les agents peuvent également entrer en possession de fonds et obtenir le contrôle des flux financiers, ce qui pourrait entraîner une augmentation de l’exposition au risque de BC-FT que l’EP mandant n’est pas forcément en mesure de gérer.

On se souvient également que l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF/ESMA) avait, en réponse à une question qui lui était posée, explicitement affirmé qu’il n’était pas possible pour un CASP de recourir à un agent si ce dernier n’est pas lui-même agréé CASP. Or, rappelons qu’un établissement qui émet des EMTs n’est pas nécessairement un CASP, puisqu’un agrément EME ou EC (établissement de crédit) suffit.

Autrement dit, plusieurs modèles sont possibles : 

  • Un modèle où le mandant et le mandataire (agent) seraient tous les 2 CASPs ; 
  • Un modèle où le mandant serait EP/EME, et l’agent un CASP ; 
  • Un modèle où l’émetteur d’EMT ne serait pas un CASP, auquel cas il devra obtenir un agrément EME ou EC (ce qui lui permet MiCA) ou EP si le service sur EMT est qualifié de service de paiement, point que beaucoup d’acteurs crypto n’auront probablement anticipé et ce, d’autant plus que le projet DSP3, dans sa version actuelle, fusionnera le régime des services de paiement avec celui de la ME. Il n’y aura plus d’EME, seuls subsisteront les EP qui seront autorisés à proposer des services de monnaie électronique. Une solution alternative pour l’émetteur en question, et la solution la plus économique, serait donc de devenir agent d’EP. 

Le premier scénario s’inscrit dans la droite ligne de l’avis de l’ESMA. Le deux autres scénarios seraient conformes avec l’avis de l’ABE. En revanche, cela pourrait conduire à une situation ubuesque : en théorie, un CASP pourrait devenir agent d’un PSP… qui, lui, ne serait pas CASP ! Cela serait en contradiction avec la réponse de l’ESMA, sauf à considérer que la réponse de cette dernière ne couvre pas tous les services sur crypto-actifs (ce qui n’est pas certain, voir en ce sens notre analyse sur le sujet). Cela pose des questions de compréhension des règles et de cohérence normative. 

Alors que MiCA avait pour ambition d’harmoniser les règles du fait de son statut de règlement européen (et non de simple directive), on constate finalement une fragmentation des pratiques et des divergences d’interprétation, notamment sur la composante « paiement » héritée de la DSP2. Le projet DSP3 pourra-t-il réellement changer la donne ? Rappelons qu’au-delà de la directive (DSP3), le « package paiement » comprendra également un règlement (RSP1). Gageons que la question crypto y soit enfin traitée de manière claire et cohérente.

  1. L’assimilation d’un portefeuille de conservation de cryptos à un compte de paiement 

Un wallet crypto est-il un compte de paiement ? 

D’après l’ABE, dès lors qu’un portefeuille crypto permet d’envoyer et de recevoir des EMT, il peut être assimilé à un compte de paiement. Ce portefeuille offre à l’utilisateur la possibilité d’envoyer et de recevoir des “fonds” à des tiers, ce qui correspond à la définition fonctionnelle du compte de paiement.

Cette approche s’appuie sur la définition “fonctionnelle” du compte de paiement, telle qu’établie par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (C-191/17). L’ABE précise la chose suivante : “Pour déterminer si un compte peut être considéré comme un compte de paiement, il convient d’évaluer s’il peut être utilisé pour l’exécution d’opérations de paiement, conformément aux définitions ci-dessus, telles qu’interprétées par la CJUE dans l’arrêt C-191/17. Le compte doit permettre d’envoyer et de recevoir des fonds, y compris à destination et en provenance de tiers. Les transactions doivent également pouvoir être effectuées directement à partir du compte, sans passer par un compte intermédiaire

Articulation avec la DSP3

Rappelons que le projet DSP3, dans sa version actuelle, élargit la notion de compte de paiement pour y inclure désormais les comptes stockant des unités de monnaie électronique, ce qui englobera donc les flux de stablecoins EMT.

  1. Une remise au goût du jour d’une position de l’ACPR de 2014 ?

S’agissant particulièrement du service d’achat/vente d’actifs numériques en monnaie fiat, il faut souligner que l’ACPR a eu l’occasion de se prononcer en 2014 sur les opérations relatives aux bitcoins. L’ACPR avait souligné que “l’activité d’intermédiation consistant à recevoir des fonds de l’acheteur de Bitcoins pour les transférer au vendeur de Bitcoins relève de la fourniture de services de paiement”. Elle en conclut que l’exercice de cette activité à titre habituel nécessite un agrément de PSP.

  1. Le cas des opérations P2P

Les CASP qui effectuent des transferts d’EMT pour le compte de clients, lorsque ces EMT sont utilisés à des fins d’investissement ou de négociation (et non comme moyen de paiement ou pour des opérations de paiement de pair à pair), ne devraient pas être considérés comme réalisant une “opération de paiement” au sens de la DSP2.

En revanche, lorsque les CASP transfèrent des EMT pour le compte de clients et que ces EMT sont utilisés comme moyen de paiement ou dans le cadre d’opérations de paiement de pair à pair (P2P), ces activités devraient, à l’inverse, être qualifiées d’opérations de paiement.

  1. Le cas des établissements de paiement souhaitant proposer des EMT

Les développements précédents concernaient le cas d’un CASP souhaitant obtenir un agrément EP afin de fournir certains services sur crypto-actifs portant sur des EMTs que l’ABE qualifie de services de paiement. Mais que se passerait-il dans le scénario inverse, à savoir celui où un EP choisirait de fournir des services sur crypto-actifs qualifiés de services de paiement ? 

On sait qu’un régime spécifique est prévu pour certains acteurs régulés ayant l’intention de fournir des services sur crypto-actifs, à l’instar de la procédure de notification pour les EC. En revanche, les EP semblent exclus d’une telle procédure.

  1. Un transfert d’EMT constitue-t-il un virement ?

Au sens de la DSP2, l' »exécution d’opérations de paiement » englobe notamment l’exécution de virements, ce qui soulève une interrogation : un transfert d’EMT constitue-t-il un virement ? 

Le règlement SEPA exclut de son champ d’application les opérations de paiement transférant de la monnaie électronique “sauf si ces opérations entraînent un virement ou un prélèvement vers et depuis un compte identifié par un numéro BBAN ou IBAN.

Il ressort qu’un transfert d’EMT peut, selon les cas, être considéré comme un virement ou non.

Ici encore, l’ABE laisse le soin au législateur européen de trancher la question : “compte tenu des charges et des implications significatives pour le secteur, l’ABE estime que la Commission européenne, le Conseil et le Parlement devraient clarifier ces aspects”.

Quelques cas d’usage potentiels

Terminons notre propos avec quelques cas d’usage, dont certains existent déjà, qui pourraient se développer du fait d’un double statut CASP et EP/EME.

Ce qui suit n’a aucune valeur juridique, il ne s’agit que d’une simple réflexion.

Paiement par carte crypto chez un commerçant

Un service qui se développe de plus en plus est celui de l’utilisation d’une carte de débit crypto permettant de dépenser des cryptos-actifs. Lors d’un paiement chez un commerçant, le service convertit instantanément les cryptos en fiat(euros) et règle le commerçant en euros. Ce modèle nécessiterait un agrément DSP2, car le service gère et transfère des fonds en monnaie fiat, même si le paiement initial est effectué en crypto.

Passerelles de paiement (payment gateways) pour commerçants

Dans le cas où un commerçant souhaite accepter des paiements en cryptos, deux options sont possibles :

  • Si le commerçant reçoit directement les cryptos sur son portefeuille crypto et s’il assure lui-même la conversion en fiat, aucune licence de paiement (PSD2) ne semblerait  requise ;
  • En revanche, si un service tiers reçoit les crypto-actifs, les convertit en fiat et crédite le compte bancaire du commerçant, un agrément DSP2 pourrait s’imposer selon la logique de l’ABE, car le service prend en charge la gestion de fonds fiat pour le compte du commerçant. Une sorte d’encaissement pour compte de tiers que la doctrine constante de l’ACPR assimile à un service de paiement ? 
  • La question de l’intégration des schemes cartes dans ce type de montage reste ouverte et mérite une analyse complémentaire.

Levées de fonds (ICO)

Lorsqu’une entreprise organise une levée de fonds (ICO) et accepte des paiements en crypto ou en euros, deux scénarios sont à distinguer :

  • Si les investisseurs envoient des euros à la plateforme, qui les convertit en crypto et investit dans l’ICO, la plateforme n’a pas besoin d’agrément DSP2, à condition de ne gérer que la conversion et l’investissement en crypto.
  • Si la plateforme collecte les euros, les conserve, puis les transfère sur le compte bancaire de l’entreprise, un agrément DSP2 est requis, car il s’agit d’une gestion et d’un transfert de fonds fiat pour le compte d’un tiers. Ce schéma pourrait s’apparenter à une activité d’encaissement pour compte de tiers.

 

Source : https://www.eba.europa.eu/sites/default/files/2025-06/e2958c99-a1b0-4b07-9d31-bcba0a28dbe7/Opinion%20on%20the%20interplay%20between%20PSD2%20and%20MiCA.pdf

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