Le 23 avril 2025, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) et Tracfin ont publié une version révisée de leurs lignes directrices conjointes, portant sur les obligations de vigilance à l’égard des opérations ainsi que sur les exigences de déclaration et d’information à Tracfin.
➤ Objectif : renforcer la conformité des acteurs financiers face aux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (BC-FT).
Dans la continuité de la version de 2018, cette nouvelle édition conserve sa vocation explicative, sans caractère contraignant, tout en tenant compte des nombreuses évolutions intervenues depuis. Elle repose désormais sur un cadre réglementaire actualisé au 1er septembre 2024, intégrant notamment:
- La 5e directive anti-blanchiment,
- L’ordonnance de 2020,
- L’arrêté du 6 janvier 2021.
Cette actualisation prend également en considération :
- Les jurisprudences récentes (Conseil d’État, Commission des sanctions de l’ACPR),
- Les retours issus des revues thématiques menées par l’ACPR,
- L’émergence de nouveaux risques de BC-FT,
- Les constats de l’ACPR concernant les dispositifs automatisés de surveillance des opérations et l’utilisation de l’intelligence artificielle,
- L’actualité récente en matière de financement du terrorisme.
Quelles sont les nouveautés ?
➦ Les nouvelles lignes directrices offrent une clarification utile pour les assujettis concernés. Elles élargissent également leur périmètre, en y incluant désormais les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), conformément aux évolutions attendues du cadre réglementaire.
➦ Renforcement de l’approche par les risques en insistant sur l’obligation de vigilance constante tout au long de la relation d’affaires : la notion de profil de risque doit être individualisée. Elle doit désormais intégrer de manière systématique les caractéristiques du client, les produits et services utilisés, les canaux de distribution ainsi que les zones géographiques concernées.
Selon les nouvelles lignes directrices, la classification des risques doit notamment s’appuyer sur les analyses sectorielles de l’ACPR, les appels à vigilance (AAV) émis par Tracfin et l’analyse nationale des risques du COLB, afin de garantir une évaluation cohérente et actualisée du niveau d’exposition au risque de BC-FT.
➦ Renforcement des exigences liées à la détection et à l’analyse des alertes : mise en avant de la responsabilité des assujettis dans le paramétrage des outils de surveillance. Le dispositif doit reposer sur une analyse robuste, incluant des critères clairs, une documentation formalisée et une traçabilité des décisions prises. A cet égard, les nouvelles lignes directrices proposent des exemples et des indicateurs permettant d’évaluer la performance d’un outil automatisé — par exemple, un taux de conversion des alertes en déclarations de soupçon trop faible, ce qui met en évidence la nécessité d’ajuster les seuils des scénarios de détection des opérations atypiques.
➦ Introduction pour la première fois, d’un encadré dédié à l’usage de l’intelligence artificielle (IA) et du machine learning dans les dispositifs de détection automatisée des opérations atypiques. Elle souligne le potentiel de ces technologies pour affiner la segmentation client, détecter des typologies complexes de blanchiment, prioriser les alertes ou enrichir les données via le traitement du langage naturel. L’ACPR insiste toutefois sur la nécessité d’un pilotage maîtrisé, d’une gouvernance adaptée et d’un contrôle humain approprié, en particulier pour les examens renforcés et la rédaction des déclarations de soupçon.
➦ Renforcement du rôle du correspondant Tracfin, désormais positionné comme un acteur central du dispositif LCB-FT : au-delà de ses fonctions déclaratives, il assure la coordination des déclarations de soupçon et la diffusion des appels à vigilance (AAV), ce qui en fait un acteur clé du bon fonctionnement opérationnel du dispositif LCB-FT.
➦ L’articulation entre la déclaration de soupçon et les autres dispositifs LCB-FT est désormais présentée de manière plus structurée et intégrée : les lignes directrices clarifient désormais les articulations opérationnelles entre la déclaration de soupçon, le gel des avoirs, les réquisitions judiciaires ou administratives, les dépôts de plainte ainsi que les appels à vigilance. En effet, l’ACPR ajoute des précisions concernant la coordination du traitement des réquisitions judiciaires et administratives avec le dispositif interne de LCB-FT : Dans le cadre d’un groupe, les organismes financiers se réfèrent aux lignes directrices de l’ACPR relatives au pilotage consolidé du dispositif de LCB-FT afin d’élaborer des procédures d’échange d’informations intra-groupe, notamment concernant les demandes émanant des autorités judiciaires ou administratives. Ils veillent également à prendre en compte l’existence d’éventuelles réquisitions adressées à une autre entité du groupe concernant un même client.
Concernant l’articulation entre le dispositif de déclaration de soupçon et le dispositif de sanctions, les nouvelles lignes directrices apportent des précisions : Lorsque l’organisme financier identifie ou soupçonne une opération dont la motivation vise à contourner une mesure restrictive, ce qui constituerait un délit douanier (article L. 574-3 et article 459 du code des douanes), il effectue une DS en parallèle de l’information qu’il adresse à la DG Trésor.
➦ La date de prise en compte du délai d’exécution d’une opération suspecte reste celle à laquelle l’opération est devenue suspecte, indépendamment du déclenchement de l’alerte interne. Les nouvelles lignes directrices renforcent l’exigence de célérité dans l’envoi des déclarations de soupçon (DS) après cette date. Les organismes doivent s’organiser pour limiter au strict minimum les délais d’analyse et de décision. Ils doivent également surveiller systématiquement les délais à chaque étape du processus de déclaration et justifier tout retard par des diligences dûment documentées.
➦ Clarification dans l’appréciation du refus de communication d’un justificatif par un client : contrairement à l’ancienne version, qui laissait penser qu’un tel refus pouvait automatiquement justifier une déclaration de soupçon en présence d’un critère fiscal, le nouveau texte précise qu’un refus ne mène pas systématiquement à une DS. L’organisme doit d’abord analyser s’il peut lever le doute avec les éléments dont il dispose. Si aucun soupçon n’est établi, le refus doit simplement être conservé dans le dossier d’examen renforcé, sans obligation immédiate de déclarer.
➦ Renforcement du droit d’opposition de Tracfin : il peut désormais viser tout établissement impliqué dans une opération suspecte, et non plus seulement l’auteur de la déclaration de soupçon. Sa durée est fixée à 10 jours, avec possibilité d’extension à d’autres opérations liées. La mise en œuvre se fait via ERMES, avec des exigences de format strictes (documents exploitables) et un point de contact désigné au sein de Tracfin. L’interdiction de divulgation et les démarches à suivre en cas de menace envers le personnel sont également précisées → Un cadre réglementaire du droit d’opposition et des règles de computation des délais en cas d’exercice du droit d’opposition par Tracfin est ajouté en annexe 3.
➦ Confirmation de l’obligation de transmettre une COSI dans les deux cas suivants et sans lien avec un soupçon : les transmissions de fonds réalisées en espèces ou via monnaie électronique, et les dépôts ou retraits d’espèces atteignant les seuils réglementaires.Enfin, les nouvelles lignes directrices prévoient une obligation d’utiliser des formats exploitables par Tracfin (pas de PDF, ni captures d’écran).
➦En outre, une DS est désormais possible concernant des retraits en espèce à l’égard d’une personne non cliente de la banque proposant le distributeur. La banque en question devrait ainsi procéder à une déclaration avec très peu d’informations puisque n’ayant pas de relation d’affaires avec la personne en question. (Elle devra donc transmettre les modalités de l’opération et les informations relatives à la carte bancaire utilisée).
➦Des précisions sur la nécessité d’effectuer une DS en cas de recours au Deepfake (production de faux documents par le client) : L’ACPR ajoute que l’envoi d’une DS peut être particulièrement utile lorsque, conformément à l’article L. 561-10-2, l’analyse conduit à suspecter une fraude documentaire caractérisée par :
– sa complexité qui peut être matérialisée par des liens entre plusieurs cas ou encore le recours à des moyens technologiques élaborés ;
– ou un « montant inhabituellement élevé », ce montant peut être unitaire ou global.
➦ Précisions sur les déclarations de soupçon : l’ACPR et Tracfin ont ajouté en annexe une Fiche Focus extraite de la documentation ERMES, détaillant les modalités concrètes d’accès au formulaire de télé-déclaration. Cette fiche vise à uniformiser les pratiques, notamment pour les premières déclarations, en précisant que le formulaire de désignation du déclarant habilité peut être joint en pièce complémentaire. Tracfin encourage les établissements à suivre cette procédure standardisée.
Ces lignes directrices précisent désormais les attentes en matière de détection, d’analyse des opérations atypiques, d’examens renforcés et de déclarations de soupçon, dans un environnement réglementaire en constante évolution.
Sources :
https://www.lcb-ft.fr/news/acpr-tracfin-lignes-directrices-vigilance-declarations-2025