L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a publié ce 27 mai 2025 son rapport annuel retraçant l’ensemble de ses missions. Le rapport propose une lecture organisée spécifiquement autour des quatre axes de supervision en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) :
- Prévention et sensibilisation
- Coopération
- Contrôle
- Pouvoirs de police et de sanctions
1. Prévention et Sensibilisation
L’ACPR souligne que son rôle dépasse le simple contrôle : elle exerce également une mission active de prévention des risques. En 2024, plusieurs actions concrètes ont été déployées parmi lesquelles :
- La poursuite de l’actualisation de l’Analyse Sectorielle des Risques (ASR), afin de détecter en temps réel les évolutions des vulnérabilités LCB-FT au sein des différents secteurs financiers.
- La réalisation de travaux ciblés sur des facteurs de risque émergents, notamment sur l’utilisation croissante des IBAN virtuels, le développement des offres de Banking-as-a-Service , l’activité croissante des services de banque privée.
Communication et échanges avec les professionnels
- Organisation de conférences, webinaires et réunions de la Commission Consultative LCB-FT pour favoriser le partage d’informations et de bonnes pratiques entre l’ACPR et les acteurs du secteur.
- Participation à des ateliers pédagogiques consacrés aux grands enjeux réglementaires à venir (règlement MiCA relatif aux crypto-actifs, règlement DORA sur la résilience opérationnelle numérique, etc.), destinés à sensibiliser les établissements sur les nouvelles exigences.
Publication de lignes directrices sectorielles
- Élaboration et diffusion de recommandations dédiées aux opérations sur l’or et les métaux précieux, afin d’alerter les professionnels sur les risques spécifiques de blanchiment et de financement du terrorisme dans ce domaine.
Ces initiatives visent à renforcer la prise en compte de l’évaluation des risques chez tous les acteurs encadrés par l’ACPR, en encourageant l’anticipation et l’adoption de dispositifs internes robustes.
2. Coopération
La coopération, au niveau national comme international, constitue un levier essentiel de l’efficacité de la supervision LCB-FT. En 2024, l’ACPR a intensifié ses collaborations :
Échanges avec Tracfin et la DGFIP
L’ACPR a transmis 315 informations de soupçon issues de contrôles sur place vers Tracfin, contribuant à alimenter la lutte nationale contre les circuits financiers atypiques et effectué 77 signalements à la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP), concernant des soupçons en matière fiscale liées à des risques LCB-FT.
Participation aux instances européennes
L’autorité était présente à près d’une centaine de collèges de superviseurs européens, en anticipation de la montée en puissance de l’AMLA (Anti Money Laundering Authority) : ces réunions ont permis de coordonner les approches et de préparer la transposition des futures règles communes.
L’ACPR a contribué à la coordination des cellules de renseignement financier (CRF) à l’échelle européenne dans le cadre du « paquet AML », afin d’harmoniser les pratiques et d’échanger des informations opérationnelles entre autorités.
3. Contrôle
En 2024, l’autorité a rendu 245 décisions d’agrément et d’autorisation.
Avec 65 000 intermédiaires contrôlés au titre des pratiques commerciales, dont 29 000 au regard de la LCB-FT, le contrôle demeure au cœur des missions de l’ACPR et s’est intensifié en 2024 :
Évaluations et réévaluations annuelles (QLB)
944 organismes ont été évalués ou réévalués via le questionnaire LCB-FT annuel (QLB). Une attention particulière a été portée aux Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN), dont l’activité croissante impose une surveillance renforcée.
Contrôles sur place : Réalisation de 35 contrôles sur place dans divers établissements financiers (banques, assurances, prestataires de paiement, PSAN), afin de vérifier la mise en œuvre effective des dispositifs internes de gestion des risques LCB-FT.
Supervision par les risques : Renforcement de l’approche basée sur les risques, notamment pour les domaines émergents : les crypto-actifs (évaluation des typologies de fraude et d’abus dans les échanges de tokens), la finance décentralisée (DeFi), les services financiers innovants (fintech, néobanques, etc.).
Suivi rapproché des nouveaux acteurs : Mise en place d’un suivi spécifique pour les entités nouvellement agréées ou en cours d’agrément, afin de s’assurer de la solidité de leur dispositif de contrôle interne et de la gestion des risques LCB-FT dès leur lancement opérationnel.
Travaux internationaux et bancaires
Participation active aux travaux du Comité de Bâle sur les bonnes pratiques à retenir après les troubles bancaires de 2023 (risques de taux et de liquidité), afin d’évaluer les conséquences potentielles sur la résilience des établissements et leur dispositif LCB-FT.
L’ensemble de ces actions vise à garantir que chaque établissement dispose d’un dispositif adapté à son profil de risque, tout en anticipant les évolutions rapides du secteur financier.
4. Pouvoirs de Police Administrative et de Sanctions
Bien que l’ACPR insiste sur sa mission de prévention et de dialogue, elle conserve des prérogatives de police administrative et un pouvoir de sanction, mobilisés en 2024 comme suit :
Actions post-contrôles
- L’émission de 25 lettres de suite, suite aux contrôles réalisés, invitant les établissements à remédier à des faiblesses identifiées dans leurs dispositifs LCB-FT.
- Le prononcé d’une mise en demeure pour manquement grave ou persistant aux obligations réglementaires (mesure de police administrative figurant au III de l’article L561-36-1 du code monétaire et financier).
- Une décision d’une mesure de limitation temporaire d’activité, afin de prévenir tout risque imminent.
La commission des sanctions en 2024 :
En 2024, la majorité des affaires portaient sur la LCB-FT. Une décision concernait le contrôle interne, la gouvernance et la maîtrise des risques. Il est à noter que toutes les entreprises sanctionnées appartiennent au secteur bancaire.
Globalement, les sanctions pécuniaires ont baissé : 5,2 millions d’euros en 2024 contre 6,7 millions en 2023 et 14,4 millions en 2022.
L’année 2024 se traduit par l’imposition de 2 sanctions prononcées par la commission des sanctions pour des manquements en matière de LCB-FT et application d’une sanction complémentaire pour des lacunes dans le dispositif de contrôle interne.
Concernant les évolutions par rapport aux années précédentes, on constate une tendance à la baisse du nombre de sanctions :
- 2021 : 9 sanctions
- 2022 : 7 sanctions
- 2023 : 6 sanctions
- 2024 : 2 sanctions + 1 sanction complémentaire
Le rapport anticipe une activité de sanction « sensiblement inférieure » en 2025, traduisant une inflexion de la dynamique post-Covid et un renforcement global des dispositifs internes au sein des établissements.
Concernant la LCB-FT, l’ACPR a insisté sur un dispositif de suivi et d’analyse des opérations robustes, avec un paramétrage adéquat des scénarios. En particulier, il a été souligné qu’il fallait traiter correctement les alertes générées, notamment en motivant les classements sans suite. De même, l’utilisation de « watchlists » comportant des informations publiques négatives a été précisée afin d’affiner le profil de risque des clients.
Quant au contrôle interne et à la maîtrise des risques, il a été rappelé l’importance d’un nombre suffisant de ressources humaines pour le contrôle permanent et l’audit interne, ainsi que l’obligation d’un cadre formalisé d’appétence aux risques.
Enfin, deux recours formés contre les décisions de la Commission ont été rejetés : celui contre la CRCAM Languedoc par le Conseil d’État le 5 février 2024, et celui devant la CEDH le 24 octobre 2024, confirmant la possibilité de sanctionner une société absorbante pour les manquements de la société absorbée.
Concernant les axes prioritaires de 2025, l’ACPR évoque plusieurs points :
Le renforcement de l’approche par les risques figure parmi les axes prioritaires, visant à cibler plus efficacement les contrôles.
La surveillance renforcée des crypto-actifs et de la finance décentralisée (DeFi) : Les risques inhérents aux nouveaux protocoles et aux formes d’échange non centralisé requièrent une vigilance accrue. L’ACPR prévoit ainsi d’intensifier ses contrôles et analyses sectorielles pour détecter plus rapidement les tentatives de contournement des obligations LCB-FT.
La réalisation d’un stress-test « system-wide » : En collaboration avec l’Autorité des marchés financiers (AMF) et la Banque de France, un exercice d’ampleur sera mené pour évaluer la résilience du système financier français face à un stress aigu de marché. Cet exercice visera notamment à évaluer les réactions des établissements en situation de tension, y compris leurs capacités de surveillance des risques LCB-FT dans un contexte de forte volatilité.
La poursuite de l’harmonisation européenne : avec l’entrée en vigueur de DORA , le cadre AMLA, l’ACPR continuera de coordonner ses actions avec les autres autorités européennes (collèges de superviseurs, CRF, etc.) afin d’uniformiser les pratiques et d’harmoniser les approches en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme au niveau de l’Union.
Conclusion
Cette synthèse met en lumière l’engagement de l’ACPR dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme pour l’année 2024. Entre prévention proactive, coopération étroite, contrôles ciblés et recours aux sanctions, l’ACPR déploie différents mécanismes afin de renforcer la résilience du secteur financier face aux menaces LCB-FT. Les perspectives 2025 soulignent quant à elles la nécessité de rester vigilant face à l’évolution rapide des risques, notamment dans le domaine des crypto-actifs et de la finance décentralisée.
Sources :