Une remise en cause du statut d’agent de PSAN ?

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L’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a publié le 12 septembre dernier une réponse très attendue sur le régime des “agents liés” au titre du règlement MiCA.


I) Une interrogation légitime sur le régime des agents de PSCA

La question, en date du 22 mars dernier, était posée dans les termes suivants : les prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA) au sens du règlement MiCA peuvent-ils désigner des personnes ou des entités pour fournir des services sur crypto-actifs en leur nom en tant qu’agents (de manière similaire au régime d’agent lié de MiFID II), lorsque cette personne ou entité n’est pas un PSCA autorisé ?

Cette question est très intéressante dans la mesure où le règlement MiCA semble silencieux quant au recours à un agent par un PSCA. 

 

II) Une réponse décevante de l’ESMA : la nécessité pour l’agent d’être lui-même agréé PSCA

À cette question, l’ESMA répond donc explicitement que l’agent en question doit lui-même être agréé PSCA afin de fournir des services sur crypto-actifs.  

En effet, selon l’ESMA, “l’’article 59 de MiCA dispose qu’une personne ne peut fournir de services de crypto-actifs, au sein de l’UE, à moins que cette personne ne soit autorisée en tant que PSCA, ou en tant qu’entité entité financière remplissant les critères de notification de l’article 60 de MiCA. Aucune disposition de MiCA ne permet à un PSCA de désigner des agents (tiers) aux fins de recevoir des ordres de clients ou de clients potentiels et de les transmettre ou de fournir des conseils concernant les crypto-actifs et les services offerts par ce PSCA. MiCA ne fournit donc pas de cadre réglementaire pour les agents agissant au nom des PSCA. Par conséquent, un PSCA ne peut pas désigner d’agents afin de fournir des services de crypto-actifs au nom du PSCA concerné. Si un PSCA nomme un agent, l’agent doit être lui-même un PSCA ”.

En d’autres termes, il n’est pas possible pour un CASP de recourir à un agent si ce dernier n’est pas lui-même agréé CASP. 

Quelles conclusions peut-on tirer ?

 

III) Une question qui porte sur la notion d’agent lié

Relevons que la question porte sur le régime des “agents liés” au sens de MIFID II, qui constitue une catégorie d’intermédiaires dans le paysage financier.

Le régime des agents liés est transposé en droit français aux articles L545-1 et suivants du Code Monétaire et Financier (CMF). Un agent lié est, conformément aux dispositions combinées des articles L545-1 et L545-2 du CMF, une personne agissant pour le compte et sous la responsabilité entière et inconditionnelle d’un prestataire de services d’investissement (PSI) unique. 

L’agent lié peut fournir, pour le compte de ce dernier, les services de conseil en investissement, de réception et transmission d’ordres pour le compte de tiers, ainsi que le placement garanti ou non garanti.

On le voit, cette notion relève du droit financier, plus particulièrement du droit des services d’investissement. 

Cependant, un autre système d’intermédiation impliquant le recours à des agents existe dans le paysage des fintechs : celui des agents de paiement.


IV) Une réponse de l’ESMA qui semble couvrir tous les agents 

Alors que la question posée à l’ESMA portait sur la notion d’agent lié (au sens de MIFID II), la réponse de l’ESMA semble couvrir tout type d’agents : “agent (third parties)”, ce qui pourrait concerner également les agents de paiement. 

Pour rappel, dans le monde du paiement, un agent est une personne mandatée par un prestataire de services de paiement (PSP) pour fournir des services de paiement à sa propre clientèle (articles L523-1 et suivants du CMF). Un bref rappel de la distinction entre les services d’investissement et les services de paiement s’impose.


V) Un rappel nécessaire de la distinction entre services d’investissements et services de paiement

S’agissant des agents liés (de PSI), seuls 3 services d’investissement peuvent être fournis par celui-ci :

  • La réception et la transmission d’ordres pour le compte de tiers ;
  • Le placement garanti ou non garanti ;
  • Le conseil en investissement.

S’agissant des agents de paiement, ces derniers peuvent fournir tous les services de paiement, pourvu qu’ils entrent dans l’agrément de leur PSP mandant  : 

  • Le versement d’espèces sur un compte de paiement 
  • Le retrait d’espèces depuis un compte de paiement
  • L’exécution d’opérations de paiement associées à un compte de paiement : virement, prélèvement et carte de paiement
  • Le crédit accessoire à une opération de paiement
  • L’émission et l’acquisition d’opérations de paiement
  • La transmission de fonds (remittance)
  • L’initiation de paiement
  • L’agrégation (service d’information sur les comptes)

Ceci étant dit, il convient aussi de rappeler ce que sont les services sur crypto-actifs.

 

VI) Les services sur crypto-actifs

Au sens du règlement MiCA, les services sur crypto-actifs sont, d’après l’article 3(13) dudit règlement:  

a) la conservation et l’administration de crypto-actifs pour le compte de clients;

b) l’exploitation d’une plate-forme de négociation de crypto-actifs;

c) l’échange de crypto-actifs contre des fonds;

d) l’échange de crypto-actifs contre d’autres crypto-actifs;

e) l’exécution d’ordres sur crypto-actifs pour le compte de clients;

f) le placement de crypto-actifs;

g) la réception et la transmission d’ordres sur crypto-actifs pour le compte de clients;

h) la fourniture de conseils en crypto-actifs;

i) la fourniture de services de gestion de portefeuille de crypto-actifs;

j) la fourniture de services de transfert de crypto-actifs pour le compte de clients

Par conséquent, faut-il considérer que tous les services sur crypto-actifs sont concernés par la réponse de l’ESMA ?


VII) La réponse de l’ESMA couvre-t-elle tous les services sur crypto-actifs ? 

En l’espèce, la réponse de l’ESMA se limite aux services suivants (nous soulignons) : “[…] recevoir des ordres de clients ou de clients potentiels et de les transmettre ou de fournir des conseils concernant les crypto-actifs et les services offerts par ce CASP”. 

L’ESMA mentionne explicitement les deux services suivants : 

  • La réception-transmission d’ordres sur crypto-actifs (service g); 
  • La fourniture de conseil en crypto-actifs (service h).

 

Qu’en est-il du “et les services offerts par ce CASP”? Cette partie de la réponse de l’ESMA fait-elle partie intégrante du service de “conseil en crypto-actifs” (à savoir un conseil sur les services sur crypto-actifs proposés par le PSCA mandant) ou porte-t-elle sur tous les services listés à l’article 3(16) de MiCA ?

Il s’agit là d’un exercice d’exégèse réglementaire, où les acteurs doivent décrypter les intentions de l’ESMA et les implications de sa position pour leur activité.

Une lecture stricte de sa réponse conduit à la conclusion que l’ESMA fait référence à l’ensemble des services énumérés à l’article 16 de MiCA, compte tenu de la formulation « ou » puis « et les services offerts par ce CASP”. 

Néanmoins d’après une autre interprétation, si nous examinons attentivement la réponse de l’ESMA, le « ou » en l’espèce semble être utilisé pour indiquer une alternative entre, d’une part, la réception et la transmission d’ordres et, d’autre part, la fourniture de conseils, plutôt que pour faire référence à l’ensemble des services sur crypto-actifs.

Pour rappel, le service de conseil en crypto-actifs se définit comme “le fait d’offrir, de donner ou d’accepter de donner des recommandations personnalisées à un client, soit à la demande du client, soit à l’initiative du prestataire de services sur crypto-actifs qui fournit les conseils, concernant une ou plusieurs transactions relatives à des crypto-actifs, ou l’utilisation de services sur crypto-actifs.

Ainsi, selon le point de vue adopté :

  • Soit seulement deux services sur crypto-actifs peuvent être relevés dans la réponse de l’ESMA, auquel cas seuls les services ‘g’ et ‘h’ requièrent pour l’agent d’être lui-même agréé CASP ;  
  • Soit tous les services nécessitent un agrément CASP pour l’agent (interprétation très stricte).

Le premier point de vue ferait sens puisque, par analogie et comme mentionné ci-dessus, un “agent lié” (au sens du droit des services d’investissement) ne peut fournir que certains services d’investissement, à savoir les services de réception et la transmission d’ordres pour le compte de tiers, le placement garanti ou non garanti, et le conseil en investissement. Tandis qu’un agent de paiement peut fournir tous les services de paiement dans la limite de l’agrément du PSP mandant.

Hélas, les services sur crypto-actifs s’inspirent fortement des services d’investissement, ces derniers étant listés à l’article L321-1 du CMF : 

1. La réception et la transmission d’ordres pour le compte de tiers ;

2. L’exécution d’ordres pour le compte de tiers ;

3. La négociation pour compte propre ;

4. La gestion de portefeuille pour le compte de tiers ;

5. Le conseil en investissement ;

6-1. La prise ferme ;

6-2. Le placement garanti ;

7. Le placement non garanti ;

8. L’exploitation d’un système multilatéral de négociation au sens de l’article L. 424-1 ;

9. L’exploitation d’un système organisé de négociation au sens de l’article L. 425-1

Ainsi, l’ESMA ne fait qu’adopter un point de vue strictement juridique, littéral de MiCA,  selon lequel un PSCA peut fournir des services sur crypto-actifs.

C’est donc une lecture stricte de l’ESMA qui prime en l’espèce. Si celle-ci est confirmée, cette position nous semble critiquable.

 

VIII) Une position décevante de l’ESMA qui pourrait impacter l’écosystème des PSCA en Europe


a) La question de la compétence

Il est regrettable que l’ESMA ne fasse pas spécifiquement référence aux agents de paiement, bien que cela puisse être compréhensible. 

L’ESMA n’est en effet pas la seule autorité de supervision européenne en charge des sujets liés aux crypto-actifs puisque l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) est également compétente sur certaines thématiques.

D’un point de vue de la compétence, l’ESMA a pour objectif d’améliorer la protection des investisseurs et promouvoir la stabilité et le bon fonctionnement des marchés financiers ; tandis que l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) met en place un cadre de réglementation et de surveillance unique pour l’ensemble du secteur bancaire de l’UE, ce qui inclut les fintechs du paiement. 

Il n’est donc guère étonnant que l’ESMA ne mentionne pas explicitement les agents de paiement dans sa réponse, celle-ci étant orientée par la question qui porte sur les “agents liés” au sens de la réglementation sur les services d’investissements relevant de l’ESMA.

Il faudra probablement attendre une position de l’ABE à ce sujet, au risque que cette dernière s’aligne sur la position de l’ESMA.


b) Les implications de cette position pour les acteurs crypto

Il est malheureux d’obliger un agent de PSCA a être lui-même agréé PSCA. Comme nous le soulignions il y a quelques mois, les exigences pour obtenir l’agrément PSAN (et demain PSCA) sont assez lourdes. A ce jour, en France, l’écart est trop élevé entre l’enregistrement PSAN et l’agrément PSAN. Cela s’explique par des exigences lourdes qui s’imposent aux PSAN agréés, source de coûts non négligeables pour les PSAN de petite taille.

De nombreux acteurs ne pourront pas obtenir le précieux sésame, faute de disposer de moyens humains, financiers et techniques adéquats. L’un des scénarios que nous avions envisagé était une potentielle reconfiguration sur le marché : au mieux un rachat de petits acteurs PSAN par des plus gros acteurs ou, dans le cas extrême, la disparition pure et simple des petits acteurs PSAN à terme. 

Un autre scénario (optimiste) avait été relevé : l’émergence d’un nouveau modèle d’affaires, celui d’agent de PSAN/PSCA. Un scénario où des jeunes startups de l’univers crypto qui n’auraient pas les moyens humains, financiers ou techniques nécessaires à l’obtention de l’agrément MiCA, s’appuient sur l’agrément d’un acteur agréé PSCA afin de fournir des services sur crypto-actifs en marque blanche au nom et pour le compte du PSCA dans tous les pays pour lesquels le PSCA mandant a obtenu son agrément (au titre du passeport européen). 

Hélas, la position de l’ESMA risque d’anéantir les derniers espoirs de ces acteurs qui seront nécessairement contraints d’obtenir l’agrément PSCA pour exercer en tant qu’agent de PSCA. Mais d’ailleurs quel serait alors l’intérêt d’être agent dans ce cas ? Si ce n’est d’être mandaté agent pour des services en dehors de l’agrément PSCA dudit agent.

 

IX) Derniers espoirs ?

Nous observons qu’une disposition de la future 6e directive LCB-FT (au titre du package AML), passée inaperçue, pourrait soutenir une lecture optimiste de la position de l’ESMA. 

L’article 41 de ladite directive, relative aux points de contacts centraux, laisse la possibilité aux PSP ainsi qu’aux PSCA d’opérer sur le territoire d’un Etat membre de l’UE par l’intermédiaire d’un agent. 

Cependant ici  aussi, les partisans d’une lecture stricte pourraient soulever que l’agent en question devra nécessairement être agréé PSCA. 

L’interprétation de la position de l’ESMA nécessite une véritable exégèse, pour comprendre les nuances et les conséquences de cette décision pour les acteurs du marché des crypto-actifs




Source : https://www.esma.europa.eu/publications-data/questions-answers/2143 

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